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Bombe à fragmentation, pour les 3e.

Tabou, de Frank Andriat

Mijade, 2003, 144 p., 6,5 €.

samedi 28 avril 2007

On pourrait s’étonner de ces adolescents qui se proclament homos sans même avoir aiguisé leur désir sur quiconque, mais c’est le drame de notre époque où l’étalage médiatique de l’homosexualité cache un tabou dramatique dans les familles ou à l’école. C’est là où Tabou est très malin, car il nous offre précisément l’outil manquant au prof maladroit qui ne sait comment aborder la question. Ce roman, paru aux éditions Labor, collection Espace Nord Zone J en 2003, est désormais disponible aux éditions Mijade. Attention, cet article a été fait à partir de l’édition originale, qui faisait 114p. Il vous faudra effectuer une « règle de 3 » pour retrouver la bonne page !

Résumé

L’argument de Tabou est simple : les ondes de choc produites par le suicide de Loïc quelques jours après ses 16 ans, sur sa classe de lycée, mais surtout sur Réginald, Philippe et Elsa, dont le prénom constitue le titre des trois chapitres — lesquels renvoient au chapitre manquant. Loïc a laissé une « horrible lettre » dans laquelle il nomme la cause de sa pendaison : homosexualité. Réginald l’apprend de Clémence, la sœur de Loïc, qui a surpris une conversation de ses parents. Il est déstabilisé dans ses préjugés, lui qui a l’habitude de se moquer des « tapettes », lui qui se rassure par son désir pour Elsa : « les rondeurs d’Elsa […] me branchent trop pour que j’aie envie de faire doudouce à un gars ! » (p. 24). Sa mère tente un discours de tolérance, mais rien n’y fait, Réginald remâche des préjugés du XXe siècle (zoophilie, sodomiser, contre nature, cf p. 30). Ses certitudes s’ébranlent seulement quand Philippe, à qui Loïc avait confié son secret six jours avant de se pendre, le rend responsable de sa mort à cause de ses blagues douteuses et de son intolérance. Surtout, Philippe fait son coming out vis-à-vis de son vieux copain : pourquoi, à son avis, Loïc l’a-t-il choisi, lui, pour cette confidence ? Philippe va trop loin dans sa provocation, et Réginald n’a d’autre recours que de lui tourner le dos. C’est alors qu’Elsa entre en scène. Elle, que tous les garçons désirent, embrasse Philippe pendant une boum. À son mouvement de recul, elle devine, et l’oblige à reconnaître qu’il est homo : « Elsa avait déchiré le voile derrière lequel tu dissimules mille questions depuis plusieurs mois » (p. 49). C’est une « bombe à fragmentation » (p. 51) dans la vie de Philippe. (Excellent extrait à étudier pp 55-57). Elsa et Philippe deviennent un couple d’amis, Elsa aide Philippe à s’accepter, en lui présentant notamment son oncle André, un modèle d’homo intégré, tandis qu’au lycée, finalement, les parents de Loïc ont décidé de faire connaître la cause de sa mort. Le prof tente maladroitement d’organiser un débat.

Mon avis

« Je me demande pourquoi on oublie tous les autres aspects d’une personne lorsqu’on apprend qu’elle est homosexuelle. » Voici ce qu’Elsa écrit dans la « dissertation » proposée par le prof à la fin du livre. La stratégie du prof est critiquée à juste titre par les élèves : on voit bien qu’il ne s’est jamais connecté sur HomoEdu ! L’ignorance des adolescents est telle en matière d’homosexualité, qu’il est illusoire de proposer une réflexion sur ce sujet — comme sur tout sujet — avant d’avoir apporté des connaissances, ce qu’ignorent encore beaucoup de nos collègues, les spécialistes du débat philo à la mords-moi le stylo du lundi matin… Voir la solution adoptée dans H.S., d’Isabelle Chaillou, un roman sur le même sujet. Pour en revenir à la réponse d’Elsa, c’est un miroir de Tabou : en effet, à part qu’ils sont homosexuels, on ne sait rien de Loïc, de Philippe ni d’André. L’auteur a sciemment limité son ouvrage à une dissertation sur homosexualité et homophobie, même si ce dernier mot n’est jamais employé. La trame narrative n’est qu’un prétexte, et il semble que l’auteur se soit efforcé, pour briser le tabou justement, de marteler le mot « homosexualité », en moyenne une fois par page, alors que le mot « tabou », sauf erreur, n’est présent, à part le titre, qu’une fois (p. 84). Il utilise aussi une ou deux fois les termes « diversité sexuelle » (p. 30), « différence sexuelle » (p. 97), « identité sexuelle » (p. 106). Les personnages apparaissent figés dans leur rôle, que ce soit un rôle positif ou négatif, à part Réginald, le seul qui évolue. Leur langue elle-même est figée, que ce soit dans les saillies homophobes (la langue n’est pas châtiée, qu’on se la dise), ou dans le discours idéaliste au ton volontiers didactique : « J’ai intuitivement compris que je ne pouvais pas demeurer seul avec mes difficultés, qu’il fallait que je reste ouvert au monde » (p. 86). On pourrait s’étonner de ces adolescents qui se proclament homos sans même avoir aiguisé leur désir sur quiconque, mais c’est le drame de notre époque où l’étalage médiatique de l’homosexualité cache un tabou dramatique dans les familles ou à l’école. Quant à Philippe, tourmenté par le souvenir de Loïc, il régresse et offre au prof une dissertation homophobe. C’est là où Tabou est très malin, car il nous offre précisément l’outil manquant, le matériau à partir duquel bâtir une réflexion. Nouvelle dissertation à proposer aux élèves, cette fois-ci après avoir lu et étudié Tabou : « Pourquoi d’après vous Philippe rédige-t-il une dissertation homophobe ? » À vos plumes !

 Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu

 Tabou a été réédité par les éditions Mijade en 2008, et a obtenu en avril 2009 le prix « Coup de Cœur » des lycéens de la ville de Gujan-Mestras].
 Lire l’entrevue que Frank Andriat nous a accordée.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le site de Frank Andriat


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