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De l’autre côté du miroir des sexes, pour les 3e et le lycée

Le Choix de moi, d’Hervé Mestron

Oskar éditeur, court-métrage, 2013, 80 p., 7,2 €.

samedi 8 novembre 2014

Ce court roman, ou plutôt une nouvelle, est un texte très littéraire qui présente, pour la première fois en littérature jeunesse à ma connaissance, un personnage explicitement intersexe. Le tour de la question est fait sans fioritures, avec quelques passages didactiques justifiés sans doute par la rareté du thème. Le texte se prête à des adaptations théâtrales. On regrettera la mauvaise idée de faire suivre ce texte d’une postface confiée à un membre représentatif de l’attitude réactionnaire du corps médical français, sourd aux revendications des transgenres et intersexes, d’autant plus regrettable que les jeunes ont tendance à accorder foi à ce qu’on leur présente comme vérité scientifique révélée.

Résumé

Dominique joue de l’alto, un instrument qui lui correspond : « ange, androgyne, au timbre voilé, ambigu ». Il ne montre jamais « ce corps qui n’est pas le sien. Personne ne l’a jamais touché, à part sa mère » (p. 27). Chaque fois qu’un problème se posait, sa mère le changeait d’école ou déménageait, ainsi quand il lui a pris d’« accord[er] tout au féminin » (p. 33). L’un de ses souvenirs les plus importants, pourtant, n’est pas d’un ange, et il alimente ses rêves depuis longtemps : il avait coupé la queue du chat, d’un coup de sécateur. Un soir, il s’apprête à jouer de l’alto juste pour sa mère, mais il veut en fait lui montrer que son bras est coincé, qu’il ne peut plus jouer. Sa mère est choquée, et tombe dans l’escalier et dans le coma. Il croit l’avoir poussée. D’où vient cette violence ? Resté seul à la maison pendant que maman est à l’hôpital, Dominique inspecte ses souvenirs et les tiroirs. Il se souvient qu’il a fait une « leucémie », du moins c’est ce qu’on lui avait dit. Il se réveillait avec des « pansements trop gros entre les cuisses » (p. 19). Il est « devenu adulte avant l’adolescence » (p. 24). Il est handicapé par son corps dans ses relations avec autrui : « Son pénis est infiniment petit et ressemble plutôt à un bourgeon » (p. 28). À force de réfléchir seul, il accède à son vrai moi : « Il avait envie d’être une fille. Il était une fille. Ça ne l’excitait pas. Il voulait juste changer, c’est tout » (p. 25). Il revêt les vêtements de sa mère, et « déambule dans l’appartement comme un phénomène de foire » (p. 30). Il fouille dans les tiroirs, et tombe sur le journal de sa mère, et c’est la révélation : « Il arrive, par exemple, qu’une petite fille naisse avec un clitoris plus grand que d’habitude. Il arrive aussi qu’un petit garçon naisse avec un pénis plus petit que d’habitude… Élever un enfant sans sexe déterminé, en laissant un organe ambigu, serait idéal, mais socialement, c’est extrêmement difficile… […] J’ai cédé à leurs injonctions… j’ai été trop faible devant leurs diktats ! » On demande le secret à la maman. Voilà la raison pour laquelle on a fait croire à Dominique qu’il avait eu une leucémie.
Après cette lecture, c’est la scène la plus forte du livre. Dominique, d’abord « il », puis « il/elle », devient « elle » : « Elle prend une profonde inspiration et dit : « Je demande à mon inconscient de rompre le lien toxique entre celui qui m’a traversé et moi » » (p. 39). « Tu es une fille, mon petit gars » (p. 40). Grâce à cette transition réussie, le happy end auprès de la mère sortie du coma est possible.

Mon avis

C’est la première fois dans mon souvenir qu’un roman de littérature jeunesse aborde spécifiquement la problématique intersexe. On pouvait interpréter en ce sens Les Anges n’ont pas de sexe, de Dominique Sampiero, mais ce n’était pas explicite. L’essai est littérairement réussi. Le choix du prénom Dominique répond au nom épicène : « Il était Dominique, l’altiste » (p. 25), et permet la transition en douceur de l’état de garçon à celui de fille. Cela confirme les difficultés évoquées par la mère dans son journal. Ce journal est un peu didactique pour un journal intime : « Quand ils détectent un enfant qui ne correspond pas aux normes traditionnelles en matière de sexe, certains considèrent qu’il est de leur devoir de corriger chirurgicalement le corps de l’enfant, pour le normaliser ». Certes, il faut informer le jeune lecteur, mais pourquoi ce ton doctoral de la part d’une mère ? De même, la recherche du style aboutit parfois à des préciosités qui risquent de dérouter les trop jeunes lecteurs : « Son geste devient la manifestation consciente de son verbe intérieur. Dans son regard que lui renvoie le miroir s’exprime la profondeur de l’intériorité » (p. 40). Ces difficultés s’ajoutent à une narration qui oscille entre le présent et le passé. Il est donc délicat de définir un âge pour conseiller ce livre aux CDI et bibliothèques, d’autant que le format de la collection « Court métrage » inciterait à classer le livre pour les plus jeunes. Cette collection ressemble plutôt à la collection « D’une seule voix » d’Actes Sud, et le texte, avec son nombre de personnages réduits, le travestissement, se prête à une adaptation théâtrale.

Ce beau petit roman a cependant un gros défaut, qui nous empêchent d’attribuer un « Isidor » au livre, alors que le roman le mériterait ! Il est suivi d’un texte de 4 pages intitulé « L’Hermaphrodisme », d’un certain Dr Gérard Feldmann, auréolé de tous les titres intimidants possibles du savoir médical. Or ce codicille confond hermaphrodisme et intersexuation, sans faire mention des divergences et revendications actuelles des intersexes, dont le roman est pourtant empreint. On se demande quelle idée a pris l’éditeur de faire suivre un beau texte accusateur par rapport à l’attitude du corps médical, d’un pensum réactionnaire pondu par un ponte de la médecine, qui écrit sans nuances : « Le traitement de l’hermaphrodisme est en général réalisé très tôt » ! Pire, dans la 2e partie, ce professeur ose parler d’« homme transgenre » et de « femme transgenre [qui] se reconnaîtra en homme en dépit d’organes sexuels féminins ». La notion de « MtF » et de « FtM », et surtout le respect minimal consistant à appeler la personne par le sexe dans lequel elle se reconnaît, sont totalement ignorés, attitude typique du pouvoir médical combattu par les militants trans et intersexes ! Il y avait tant d’autres savants à qui demander une postface en dehors du milieu médical français ! D’ailleurs, le roman se suffisait à lui-même, surtout avec cet extrait du journal de la mère, qui faisait bien le point de la question !

 Lire l’article de Jean-Yves Alt sur ce livre.
 Sur la question de l’hermaphrodisme, lire Herculine, dite Alexina B.
 Dans la même collection, lire Mariez-vous, d’Alain Germain, et Les Petites marées, de Séverine Vidal.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le site d’Hervé Mestron


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