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Méthode Coué contre la haine de soi, pour les 3e et le lycée

Nuit claire comme le jour & Ce Garçon trop doux, de Mario Cyr

Les intouchables, coll. Jamais lu, 2000, 120 p. et 124 p., épuisé.

samedi 4 avril 2015

Un lecteur canadien m’a signalé en 2014 l’existence de ces deux courts romans publiés en 2000 qui avaient échappé à mon recensement de la bibliographie canadienne. Ils ont été postérieurement réunis en un seul volume chez le même éditeur, mais le livre est épuisé, en plus de n’avoir pas été diffusé en France ; autant dire que les lecteurs hexagonaux ont peu de chance de connaître ce livre. Cet article se base sur l’édition (donc sur la pagination) en deux volumes séparés. Le thème altersexuel est mineur dans Ce Garçon trop doux, et majeur dans Nuit claire comme le jour. S’agissant de livres parus en 2000, une critique rédigée en 2014 est forcément décalée, car l’eau a coulé sous les ponts. Nuit claire comme le jour est très, trop osé pour un ouvrage publié en littérature jeunesse, surtout à cette époque de pionniers. Le récit est provocateur et attachant par l’optimisme et l’esprit de libre sexualité qui s’en dégage. Optimisme et humour sont également l’apanage de Ce Garçon trop doux.

Nuit claire comme le jour

Renaud, le narrateur, a quatorze ans, presque quinze, comme il le serine à longueur de pages. Il travaille dans un camp de vacances, à la campagne. Il soigne les chevaux et fait l’homme à tout faire, en compagnie d’un jeune adulte dont il nous dit dès la première phrase : « J’aime un homme. Je suis amoureux » (p. 10). Il s’agit de Richard, et il est paré de toutes les qualités : « C’est un solitaire, comme moi » ; « C’est un être silencieux, comme moi » (pp. 16 & 17). Renaud aussi se pare de toutes les qualités : « Suis une sorte d’anarchiste : je ne respecte que les règles que je me donne » (p. 24) ; « Moi, je l’ai dit déjà, je suis un solitaire » (p. 46), et nombreuses modestes sorties commençant par « Moi, je »… Ces deux solitaires partagent aussi la même chambre, et tous les soirs Renaud mate discrètement le strip-tease de Richard, qui glisse son pouce sous la bande élastique de son slip blanc pour la faire claquer ». Résultat : « Je bande à en percer le matelas. Il m’est même arrivé, les premiers soirs, d’éjaculer entre mes draps, comme ça, sans me toucher ni rien » (p. 22). Suite à un incident, Richard « passe une main complice dans les cheveux » de Renaud, et l’appelle « Mon homme », ce qui met le garçon dans tous ses états. Comme ils vont visiter un phare désert, Renaud tente un léger rapprochement, mais Richard ne fait rien : « Je comprends à quatorze ans (bientôt quinze) que ma sexualité représente un danger » (p. 34). La dernière nuit, seulement, Richard achève son strip-tease et enlève son slip. Au moment de la séparation à la fin du camp, ils s’embrassent, et Richard murmure ceci : « Ç’aurait été possible, peut-être, dans une autre vie, dans un autre monde que celui-ci… » (p. 38).
Renaud retourne à la vie civile, si l’on peut dire. Il a un pote, José, qui n’est pas vraiment un pote, juste une fréquentation. Ils parlent de leurs vacances, et José semble très porté sur la sexualité. Il évoque une fille qu’il a rencontrée, une « vraie salope », puis apprend à Renaud l’existence d’un « Club Jet », dans lequel des garçons qui « ne sont pas fifs, quand même… » […] « se branlent les uns devant les autres […] et le jeu consiste à déterminer celui qui éjacule avec le plus de force, qui a le jet le plus puissant » (p. 48). Renaud remarque la contradiction de ces soi-disant hétéros qui se matent entre eux, et résiste à la tentation quand José « se sort la queue. En totale érection » et le voyant rester inerte, lui dit : « Je croyais que tu aurais su quoi faire avec » (p. 50). Quelques jours après, sa sœur invite à la maison son chum de 19 ans, et comme le père refuse qu’elle couche avec lui sous son toit, il préfère que les deux garçons partagent la chambre de Renaud. Cela ne fait ni une ni deux, le chum en question lui roule une pelle, puis le déshabille et « le chum de ma sœur s’assoit sur ma bite » (avec « un condom »), et cela « quatre fois au cours de la nuit » (p. 64). Comme dit la chanson, « Le lendemain il était souriant », et le même José lui signale un « premier de la classe » qui a l’habitude d’échanger des devoirs parfaits contre des « faveurs sexuelles » : « Il bosse pour toi et, en prime, il te fait une pipe ! » (p. 68). Renaud ne fait ni une, ni deux, il interpelle le garçon et lui demande de réaliser un exposé pour lui, même si le garçon lui déclare qu’il ne le fait plus en principe. Il fait la connaissance de son père, une caricature de beauf : « Je pense avoir dit déjà que mon père est limité. Le sien est borné. […] Mon père n’a pas de curiosité, le sien s’enorgueillit de ne pas en avoir » (p. 72). Renaud surnomme le garçon, qui s’appelle Baptiste, « Cadoduciel ». Ce sera enfin le grand amour, avec la nuit d’amour torride, comme il se doit, grâce à un « ange », Nico, un « poète » de 17 ans, rencontré dans la rue, hétéro gay friendly qui leur prête un appartement. En se déshabillant, Baptiste remarque que Renaud a « un piercing dans le nombril » (p. 85). L’anniversaire des quinze ans arrive enfin, et peu après Renaud fait son coming out d’abord avec José, puis avec ses parents. Cela se passe au mieux, malgré une première réaction douloureuse du père, et grâce à une réaction émouvante de la mère. Renaud développe un « postulat » optimiste : « Je me dis que, pour chaque imbécile qui va se mêler de porter un jugement sur ce que nous vivons, toi et moi, il va se trouver un beau fou comme Nico pour nous apprécier » (p. 117).

Voilà pour le résumé, long parce qu’il se passe beaucoup de choses dans ce court roman. Pour un livre pionnier dans notre sélection, on n’y va pas avec le dos de la cuiller. La sexualité, jusqu’à la sodomie, est explicite, et chez un garçon dont on dit et répète à chaque page qu’il a moins de quinze ans. C’est l’intérêt, mais aussi le problème de ce roman. Était-il vraiment nécessaire, à cette époque d’hystérie anti-pédophile, de choisir un cas limite, alors que cela n’aurait rien enlevé de donner ne serait-ce qu’un an de plus au personnage, ce qui aurait rendu plus crédibles les scènes sexuelles. Je veux bien qu’il existe des jeunes précoces, mais avoir, avant quinze ans, un piercing au nombril et pratiqué la sodomie, cela ne court pas forcément les rues. Un autre point problématique mais pas polémique, est de savoir comment il se fait qu’un enfant de 14 ans travaille pendant ses vacances ; mais passons (il ne s’agit pas d’un stage, et je ne connais pas la législation au Canada sur ce point).
En France, la majorité sexuelle est à quinze ans, et la scène où le chum de la sœur de Renaud (19 ans) s’assoit sur sa bite de 14 ans constituerait une scène pédophile selon la loi française ; ce qui explique que ce roman, pourtant excellent, ne sera pas classé parmi nos Isidor. Voyons ce qu’il en est au Canada. Selon l’article Majorité sexuelle en Amérique du Nord et centrale de Wikipédia, les dispositions concernant la majorité sexuelle au Canada sont une usine à gaz. Depuis 2008 (donc 8 ans après la publication de ce roman), la majorité sexuelle est fixée à 16 ans (un an de plus qu’en France), mais avec des dérogations prenant en compte la différence d’âge (ce qui évite, comme c’est le cas en France, d’incriminer un jeune de 15 ans et un jour qui aurait une relation avec un(e) partenaire de 14 ans et 364 jours), et une étonnante loi interdisant la sodomie avant dix-huit ans, loi déclarée inconstitutionnelle par certains États fédéraux, alors que la loi d’âge légal est une loi fédérale ! Cela doit valoir à nos maudits cousins de sacrés enculages de mouches dans les prétoires, selon que l’enculé(e) a un jour de plus ou moins, et n’est pas natif du même État que l’enculeur/euse ! (je mets au féminin car la loi ne précise pas qu’il s’agisse d’une sodomie avec pénis ou avec courgette). On doit supposer qu’avant 2008, la loi était plus sévère et que la majorité sexuelle était à 18 ans, d’où le scandale suscité par ce livre à sa parution, qui explique peut-être que je n’en aie pas entendu parler dans les listes que j’ai trouvées sur Internet. À mon avis, ce livre s’adresse surtout individuellement à des adolescents gais en quête d’eux-mêmes. Proposé dans un cadre scolaire, il aurait plus de chance de choquer, même quinze ans après sa parution, ce qui serait contre-productif.
On est en présence de porno gay soft, ou plutôt d’une sorte de conte de fées répertoriant un certain nombre de fantasmes improbables de films de Jean-Daniel Cadinot : l’homme des bois au slip blanc ; se taper le copain de sa sœur ; une bande de jeunes qui font des concours d’éjaculation ; le pote qui sort sa bite, etc. Vision fantasmatique de l’homosexualité redoublée d’une conception idéalisée à la limite de l’hétérophobie. Non seulement les deux pères présentés sont des caricatures assez négatives d’hétéros, mais le personnage principal, assez imbu de sa petite personne comme on l’a vu, se met le doigt dans l’œil à propos du monde gay (ce qui est réaliste pour un garçon de cet âge) : « Est-ce que vous en comptez, vous, des gais, dans les gangs de rue ou dans les bandes de motards ? […] La brutalité, l’épreuve de force, ça ne leur ressemble pas. Je ne sais pas exactement ce qu’est l’homosexualité, mais c’est peut-être une forme de non-violence. Une forme de pacifisme » (p. 108). Le risque avec un récit à la première personne, c’est que le lecteur s’identifie avec le narrateur-personnage. Mais ne nous inquiétons pas, il aura le temps de déchanter et de savoir qu’il y a autant de salauds parmi les homos que parmi les hétéros. Le côté imbu de lui-même n’est pas forcément blâmable ; il colle bien avec la profession d’optimisme finale et le happy end, qui contraste tellement avec la plupart des livres pionniers sur le thème, qui finissaient trop souvent par un suicide ou une mort du sida ou de toute cause possible, pour faire passer la pilule de l’homosexualité. On a là un personnage qui aime la vie, qui s’aime, et qui, s’il est conscient des difficultés de vivre sa sexualité, est à mille lieux de la haine de soi, et la tue dans l’œuf par son antidote, l’amour excessif de soi ! On aurait tort de blâmer un roman qui pratique la méthode Coué, dans un contexte où elle est si utile chez les jeunes homos. On a d’autre part tant lu dans les romans canadiens de récits où le jeune gai vit un enfer dans les établissements scolaires, qu’on est heureux de constater qu’à la même époque un auteur pouvait donner une vision optimiste du même milieu scolaire, et le voir plutôt comme un lieu de fantasmes, ou du moins montrer un jeune qui se fiche du qu’en dira-t-on et ne donne aucune prise à la maltraitance.

Ce Garçon trop doux

Sophie, première de la classe, fille d’une enseignante, préférant la réussite scolaire à la fréquentation des garçons de son âge, trop « primates » (p. 18) à son goût, doit supporter la cohabitation avec un « chauve », nouvel amant de sa mère divorcée, et surtout avec Quentin, le fils du chauve, un jeune de son âge, l’exact opposé d’elle. Alors que sa meilleure amie fantasme sur le garçon, Sophie lui trouve tous les défauts : il a quitté l’école et ne travaille pas, et est habillé comme un « squeegee » (« vagabond », pp. 25 & 26). Elle préfère fantasmer sur le beau voisin, de dix ans plus âgé qu’elle. Un jour, en se promenant, elle tombe sur Quentin dans le quartier gay, en compagnie d’un homme d’âge mûr au look homo. Ils se quittent en s’embrassant. Il n’en faut pas plus pour qu’elle imagine, aidée par le fantasme déçu de son amie, que Quentin est gay et qu’il se prostitue. Elle-même déteste les bébés, qu’elle qualifie avec une ironie mordante et un humour ravageurs, mais quelle n’est pas sa surprise de découvrir que Quentin les adore ! Elle découvrira fortuitement que celui qu’elle appelle « petite pédale » a un secret : s’il a quitté l’école, c’est après un traumatisme, et il consacre sa vie aux autres. Il aide notamment un « sidéen » (p. 86), et il n’est pas gay. Avec un nouvel happy end, un beau roman pour apprendre à surpasser ses préjugés. Et puis, réunis ensemble, les deux récits s’équilibrent bien.

 Voir notre bibliographie canadienne.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le site de Mario Cyr


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