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Ich bin ein Swing Berliner, pour les 4e/3e

Swing à Berlin, de Christophe Lambert

Bayard jeunesse, 2012, 280 p., 12,5 €.

mercredi 5 avril 2017

Christophe Lambert est un auteur prolifique, surtout connu pour ses livres de science-fiction pour la jeunesse. Il a obtenu un grand succès avec ce roman historique dont l’action se passe pendant la Seconde Guerre mondiale. Un musicien de jazz mis sur la touche par les nazis, est appelé par Joseph Goebbels pour créer un ensemble de jazz, ou plutôt de « musique de danse fortement rythmée », au tournant de la guerre en 1942, de façon à redonner cœur à l’ouvrage au peuple allemand éprouvé par les privations et les premières défaites militaires [1]. Le jazz est une « musique de dégénérés », et l’auteur n’a pas craint d’ajouter au tableau le thème mineur de l’homosexualité, pour un roman très pédagogique adapté aux classes de collège.

Résumé

Le prologue raconte brièvement comment la carrière du célèbre groupe choral des « Musician harmonists » (calque des célèbres Comedian harmonists) prit fin en 1936 (en fait en 1934), par une intervention musclée des SS, justifiée par le fait que trois membres du groupe étaient juifs. On passe immédiatement à l’automne 1942, quand Goebbels, ministre de la propagande, annonce en direct à la radio son désir de promouvoir une « musique de danse fortement rythmée » […] dans un esprit typiquement germanique » (p. 18), pour le divertissement du peuple et des soldats. Pour créer un ensemble, les services de Goebbels ont sélectionné Wilhelm Dussander, la soixantaine, ancien membre des « Musician harmonists » surnommé « Willy les doigts d’or », arthritique, n’ayant jamais adhéré au parti nazi, et vivant de la fortune familiale. Il se rend, bien obligé, au bureau de Goebbels, se rappelant que « le peuple avait démocratiquement élu leur dirigeant », même s’il est loin d’approuver les nazis. Goebbels explicite son désir de fonder un groupe, en arguant que « les nègres et les Juifs n’ont pas le monopole du rythme » (p. 27). Dussander n’aura que deux mois et demi pour former ses jeunes musiciens (entre 16 et 20 ans), qu’il doit d’abord recruter en visitant les conservatoires de toute l’Allemagne, épaulé par un nazi orthodoxe du nom de Müller. Celui-ci est vite excédé par la suffisance de Dussander, qui recale tous les candidats, jusqu’à ce que par hasard, il entende un jeune pianiste improviser sur la mélodie de Lili Marleen. Ce garçon lui est présenté comme « Ruppert. C’est une pédale », en précisant que « L’homosexualité était proscrite et sévèrement punie sous le régime nazi ». L’argument de l’accusateur est frappé au coin du bon sens : « Il tortille du cul. Et puis, il est nul en sport » (p. 45). Le deuxième « oiseau rare » (p. 53) n’est pas non plus issu d’un conservatoire, mais un saxophoniste autodidacte dont les parents ont conservé des disques de jazz d’avant-guerre. À Berlin, excédé par l’attitude de Dussander et inquiet de la réaction de Goebbels, Müller utilise une clause du contrat qui l’autorise à choisir un des musiciens, pour engager un contrebassiste, Hermann Jurgens, membre des jeunesses hitlériennes, assez doué en technique mais n’ayant pas assez le sens du rythme selon Dussander. Le batteur Thomas est engagé in extremis dans la rue ; il tape sur des couvercles de poubelles, ce qui rappelle à Dussander que « les musiciens de la Nouvelle-Orléans […] utilisaient des planches à lessive qu’ils tapaient avec leurs doigts munis de dés à coudre » (p. 64). Dussander fait un cauchemar basé sur la légende du Joueur de flûte de Hamelin, où il mène à la perte des garçons attirés par la musique. La formation accélérée commence, à base de cours d’histoire de la musique populaire et de pratique de l’improvisation, en plus de séances de culture physique sous la férule d’un lieutenant caricatural, alcoolique et macho, qui traite les garçons de « mesdemoiselles » ou de « lopettes ». Le film Le Chanteur de jazz est diffusé (p. 95), et si le professeur évoque la tradition des « minstrels » (en fait plutôt blackface), aucune allusion n’est faite à la composante juive du film, alors qu’en toute logique, cela aurait dû entraîner des réactions des garçons ! On verra comment le dénouement réutilise le thème de ce film. Lors des moments de repos, les garçons discutent de filles, un sujet qui ne passionne guère Ruppert. Petit à petit, ils cessent de se disputer et se soudent ; ils trouvent même leur nom : « Les quatre en or » (p. 103). Thomas et Ruppert se rapprochent insensiblement au gré de scènes où percent leurs sentiments. Hermann, le jeune hitlérien, évolue également, à partir du moment où il découvre que les gitans, qui pour lui sont des « parasites », ont donné de grands musiciens comme Django Reinhardt. Pour la première fois, poussé par le professeur, il parvient à improviser, et « la graine du doute était semée » (p. 124). À chaque moment de grâce, Dussander demande aux garçons de se donner la main, ce qu’ils font volontiers. Le grand moment est arrivé, les garçons doivent se produire en direct à la radio, sur une musique de Dussander, dont les paroles ont été écrites par Ruppert. Au dernier moment, Müller, qui avait demandé le texte quelques jours auparavant, impose des paroles plus nazies, mais Dussander déchire le texte, pour des raisons non pas idéologiques, mais artistiques. Tous s’attendent à être punis, mais le succès est tel qu’on leur pardonne, sous prétexte que « la rigueur germanique a payé » (p. 151). Ils partent en « tournée au service du peuple et du Führer » (p. 153). C’est l’occasion de rencontrer des filles. Lors d’une de ces rencontres, Ruppert se met à l’écart, bientôt rejoint par Thomas, qui ose lui demander : « Les filles, ce n’est pas trop ton truc » (p. 159), mais ne souhaite pas poursuivre sur ce terrain. Ruppert se fait confier une valise bourrée de tracts anti-nazis par un ami membre de La Rose blanche ; et la cohésion est telle à ce moment que lorsqu’il est découvert, Dussander parvient à faire disparaître la valise sans que personne ne trahisse le traître à la patrie. La position de Dussander, et partant de son groupe, va évoluer, suite notamment à la nouvelle de la mort du frère de Max, éliminé parce que handicapé. Dussander, qui se réjouissait des gloussements d’oie improvisés par ses poulains et qui déplaisent à la propagande, et qui voyait là une « façon de résister » (p. 183), va prendre sur lui de contacter les amis militants de Ruppert, Hans Scholl et sa sœur Sophie (personnages réels), de façon à distribuer des tracts anti-nazis avec les garçons, à l’exception de Hermann, qui promet pourtant son silence. Le récit d’Elsa, la domestique de Dussander, qui est en fait une juive évadée d’un camp de concentration, va ébranler le dernier rempart de la foi d’Hermann pour les nazis. Mais les militants de la Rose blanche sont arrêtés, alors que les Quatre en or doivent donner leur grand concert de Berlin. Dussander doit se débarrasser des tracts compromettants, alors que Müller fait peser sur lui le poids de sa suspicion. La fin ne risque pas d’être réjouissante, mais nos quatre garçons dans le vent sauront se montrer héroïques, n’en doutons pas.

Mon avis

Christophe Lambert révèle ses sources et sa méthode de travail dans une note qui suit le roman. L’idée lui est venue lors d’une exposition en 2004 à la Cité de la musique, Le IIIe Reich et la musique. Il explique, d’une façon très intéressante pour les élèves, sa méthode de documentation, et la façon dont il mélange faits historiques et imagination, en donnant un coup de pouce dramatique à la réalité. Le quatuor du roman est inspiré de « Goebbels bands » véridiques, comme « Die Goldene Sieben » (Les Sept en or) ou Charlie and his orchestra. Il s’est également nourri de la lecture de Seul dans Berlin, roman de Hans Fallada, et ses informations sur les tracts anti-nazis de La Rose blanche sont basés sur des documents historiques. Dussander n’est pas calqué sur un membre particulier du groupe des Comedian harmonists, même si Dussander évoque surtout Harry Frommermann, le fondateur du groupe. L’auteur lui prête une expérience aux États-Unis avant la crise de 1929 (p. 131). Pour ce qui concerne notre recherche sur l’altersexualité, on est d’un côté déçu que le roman n’aille pas plus loin dans l’analyse des sentiments de Thomas et Ruppert, laissée en chemin, de même que le personnage du lieutenant nazi entraîneur sportif est brusquement abandonné. On est quand même chez Bayard, éditeur catholique, peu connu pour sa défense & illustration de la gaytitude ! D’un autre côté, notre amour de la vérité historique nous fait apprécier que justement l’auteur n’ait pas fait comme beaucoup d’autres, sur-développer de façon anachronique des motifs qui ne pouvaient guère exister à l’époque. La sublimation des sentiments est le cas de figure le plus vraisemblable, et Christophe Lambert a eu raison d’en rester là.

 En 2015, dans la même veine et chez le même éditeur, Christophe Lambert publie Lever de rideau sur Terezin, qui suit la même trame, cette fois-ci dans le monde du théâtre, et dans un contexte encore plus dramatique. L’homosexualité y est également présente en arrière-plan, avec l’« étoile rose » évoquée à propos des rapports entre « le Grand Sébastian » et son « domestique » Abraham, et les amours discrètes d’un des prisonniers sélectionnés comme acteur, Hans Silverberg, pour un garçon (p. 264). Ce livre sélectionné par les Incos constitue une lecture cursive idéale en classe de seconde, par la place consacrée au théâtre du XVIIe siècle en France.

 Swing à Berlin bénéficie du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu

Lionel Labosse


Voir en ligne : Swing à Berlin sur le site « histoire d’en lire »


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[1Goebbels aura aussi une attitude transigeante à l’égard de la famille Strauss. Cf. La Valse. Un romantisme révolutionnaire, de Remi Hess.