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Crise conjugale, pour les 5e/4e.

Un Cœur grand comme ça, de Cordula Tollmien

Actes Sud Junior, 1999, 220 p.,9€.

samedi 28 avril 2007

« Je savais désormais que, parfois, il faut partir » (p. 199). Ces paroles résonneront longtemps dans le cœur des jeunes lecteurs, surtout ceux qui ont vécu une crise conjugale chez leurs parents. La réponse donnée par l’auteur est sans doute optimiste, mais au moins ce roman a-t-il l’intérêt de montrer, du point de vue d’une adolescente, le drame que vivent les parents au moment où se fissure un couple hétérosexuel, qui plus est en vue d’une relation homosexuelle.

Résumé

Ruth arrive sans crier gare dans la famille d’Alex, de sa sœur Svenja, de sa mère Anne-Marie et de son père. Elle a rencontré les deux sœurs par hasard l’une après l’autre, a raccompagné Alex chez elle, et de fil en aiguille s’est trouvée invitée, puis amie de la famille. Alors que ses parents reçoivent peu en principe, Ruth suscite immédiatement leur sympathie. On ne sait pas grand chose de la vie de Ruth, si ce n’est qu’elle donne des cours à des femmes, qu’elle a un discours assez féministe, et collecte des histoires de personnes âgées dans une maison de retraite. Le cœur grand comme ça, c’est le sien. Le père commence à s’inquiéter quand il voit sa femme inviter Ruth trop souvent à son goût : « Ce serait bien si cette dame avait sa propre famille, elle nous dérangerait un peu moins » (p. 54). Alex constate l’étrange changement de sa mère, qui « rit deux fois plus qu’avant » (p. 54) et s’abstient de critiquer quand Ruth les pousse à faire des choses inhabituelles. Alex écoute une discussion entre Ruth et sa mère un soir. Celle-ci évoque son désir d’écrire, et Ruth l’encourage. Plus tard, elle se réveille et voit sa mère et Ruth dans les bras l’une de l’autre, « Et Ruth a fait un baiser à maman, un tout petit, mais sur la bouche » (p. 100). C’est le début d’une grave crise conjugale, puisque le mari met en doute les capacités d’Anne-Marie à écrire un livre : « De toute façon tu n’y arriveras pas » (p. 110). (À comparer à M. Feyrières, dans Maïté coiffure, de Marie-Aude Murail ). Alex se demande si Ruth et sa mère sont lesbiennes. Le lecteur, pas plus qu’Alex, n’apprendront rien, cela restera le secret des deux femmes, mais au moins la question est-elle posée. Disons que la réponse est donnée entre les lignes, par digressions et métaphores. La belle histoire de Lotte, une pensionnaire de la maison de retraite qui a vécu une sorte d’histoire d’amour polygame, et le cœur que Ruth offre à Alex et que celle-ci offrira à sa mère, après une double fugue, de la mère et de la fille.

Mon avis

« Je savais désormais que, parfois, il faut partir » (p. 199). Ces paroles d’Alex résonneront longtemps dans le cœur des jeunes lecteurs, surtout s’ils ont vécu une crise conjugale chez leurs parents. Cette phrase fait écho au célèbre « Quand tu aimes il faut partir » de Blaise Cendrars. La réponse donnée par l’auteur est sans doute optimiste, mais au moins ce roman a-t-il l’intérêt de montrer, du point de vue d’une adolescente, le drame que vivent les parents au moment où se fissure un couple hétérosexuel, qui plus est en vue d’une relation homosexuelle. Évidemment, c’est moins optimiste que Je ne suis pas une fille à papa, de Christophe Honoré, mais toujours beaucoup plus, je crois que les situations réelles. La narration est traditionnelle, avec cette originalité que les titres des chapitres en constituent la première phrase, ce qui confère au récit une sorte d’allégresse assortie au personnage de Ruth. L’auteur utilise également quelques amorces narratives. Certains esprits chagrins reprocheront la naïveté de la leçon de morale centrale : « Peu importe, un homme et une femme, deux hommes ou deux femmes, ce qui compte, c’est qu’ils s’aiment » (p. 126), leçon un peu facile quand justement on les voit si peu s’aimer physiquement. On rétorquera que l’histoire est vue par les yeux d’Alex, et que ce qu’elle vit et voit est suffisamment éprouvant pour elle. Chez un éditeur français, on aurait sans doute poussé l’auteur à ajouter un début de relation entre Alex et son copain Piotr, pour complaire au lecteur moyen ; mais en ce qui me concerne j’apprécie que, de temps en temps, on nous propose des personnages qui réfléchissent plus qu’ils n’agissent, et qui prennent le temps de grandir. Et puis n’est-il pas compréhensible qu’avec un tel exemple sous les yeux, cette adolescente n’ait pas envie de se lancer dans une relation avec son copain ? Le récit est suffisamment riche au long de ses 220 pages pour qu’on nous épargne certains détails qui auraient sans doute été plus militants, mais qu’importe, c’est au jeune lecteur de faire la moitié du chemin. Ce livre lui permettra de mieux comprendre toutes sortes de difficultés conjugales, avec ou sans intervention d’une lesbienne supposée ou réelle. Laissons le dernier mot à Willi, autre personnage mystérieux, vieillard que son fils a abandonné à la maison de retraite et que Ruth a hébergé, avec son « cœur grand comme ça : « On ne peut retenir que celui qu’on laisse libre » (p. 129).

 Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu

Lionel Labosse


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