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Les homosexuels sont-ils fous ? Les fous sont-ils homosexuels ? pour les lycées
Comment réussir sa schizophrénie, de Robert Dôle
VLB éditeur (Québec), 2000, 127 p, épuisé
lundi 4 juin 2007
Un récit atypique signé par un professeur d’université polyglotte et cosmopolite, québécois d’adoption, homo, bi, père, mystique et schizophrène. Un récit allègre, pince-sans-rire, malicieux, qui donne un point de vue sur la psychiatrisation de l’altersexualité pratiquée à une certaine époque aux États-Unis.
Résumé
L’auteur narrateur est né d’un père puritain unitarien imbu de la supériorité des États-Unis et de sa secte, qui s’est marié à l’âge de 40 ans sans expérience sexuelle, pour perpétuer ses gênes. Étant un deuxième garçon au lieu de la fille attendue, son existence suscite l’indifférence paternelle, indifférence redoublée par le premier signe de son « anormalité », quand il demande une maison de poupées comme jouets. Il embrasse une photo de Staline, symbole de son opposition à l’idéal économico-politique étasunien. Ses parents se sacrifient pour ses études, mais voilà que dès son entrée dans une école prestigieuse, il a une première expérience sexuelle avec Geoffrey, lequel le dénonce. Geoffrey finira par se suicider ; Robert s’en sortira au prix d’un périple en Europe et en Amérique, pour échapper à la psychiatrisation de l’homosexualité. Il voit un progrès dans le fait d’être passé d’homosexuel à dépressif (p. 35). Il trouve une échappatoire dans la littérature française (liée à l’homosexualité, au point de susciter l’ironie d’un professeur de littérature de Harvard, qui n’accepte aucun travail sur homosexualité et littérature (p. 47)), les études théologiques et linguistiques, et l’apprentissage des langues. Une jeune femme juive accepte de le « transformer en hétérosexuel » (p. 36). Sa rencontre avec Paul Tillich, chef de file du mouvement socialiste religieux allemand, est décisive. Il se prend dans un premier temps pour le messie, fait un voyage en stop à travers les États-Unis au cours duquel, ayant subi un « lavage de cerveau antihomosexuel » (p. 46), il refuse les invitations de jeunes hommes. Il tombe dans la schizophrénie et la paranoïa, subit la répression de la sexualité, révise ses ambitions messianiques à simplement découvrir le nouveau messie, qu’il croit rencontrer sous la forme d’un beau jeune homme, Mark Fréchette, lequel finira tué dans une prison. Il s’évade d’un asile, se réfugie parmi les hippies chez lesquels la folie et la normalité sont « les deux côtés d’une même médaille » (p. 72), puis passe en Europe, et trouve réconfort parmi les jeunes gens de Dublin, qui acceptent ses délires et l’aident à « réussir sa schizophrénie ». Ses gênes ayant toujours « besoin de se reproduire », il finit par épouser une Polonaise en tous points opposée à lui, puis obtient un poste en fac à Chicoutimi. Un enfant lui naît le 5 juillet (il fait tout pour que ce ne soit pas le 4, jour de l’Independance day). Il poursuit tant bien que mal, malgré les mauvaises langues et lettres anonymes, sa vie de bisexuel et de schizophrène.
Mon avis
Voici un court texte atypique, essai autobiographique incroyable d’un professeur de littérature bien identifié au Canada (le texte est dédié à Michel Dorais). Le récit est mu par une alacrité de bon aloi, et un ton pince-sans-rire qui n’est pas pour déplaire. L’auteur dresse sans avoir l’air d’y toucher un réquisitoire contre la psychiatrisation des « déviances sexuelles », qui a fait des victimes et continue d’en faire. Les propos prêtés aux psychiatres font froid dans le dos, ainsi que les récits de suicides ou de morts d’homosexuels incontestablement liés à l’homophobie. Robert Dôle n’argumente pas, mais lance des pavés dans la mare : « Remplacer les psychiatres par des prostitués des deux sexes eût été la meilleure chose » (p. 60). Sa définition de la bisexualité est amusante : « Il y a deux sortes d’homosexuels : la première est composée d’homosexuels qui ne savent pas résister aux charmes des femmes, et la deuxième est composée d’hétérosexuels qui ne savent pas résister aux charmes des hommes » (p. 67). Quand sa femme le quitte, il se déclare sans ambages « père poule » (p. 117). Le lecteur est laissé seul maître de conclure sur cette vie commencée comme schizophrène désigné par sa déviance sexuelle, et terminée comme érudit polyglotte père de famille et auteur gauchiste. Une bonne lecture pour les lycéens et pour les adultes qui veulent réfléchir sur ce que signifie être altersexuel au regard de la psychiatrie, ou ce que signifie la folie au regard de l’altersexualité. Souhaitons donc que l’ouvrage soit réédité au Canada, et édité en France.
– Voir une version plus trash de la schizophrénie d’un personnage transgenre, dans le film de Brian de Palma, Dressed to kill (Pulsions).
– Voir L’Attrape-cœurs, de J.D. Salinger (1951, qui évoque la névrose d’un adolescent fasciné par l’univers homosexuel !
– Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».
– Voir notre bibliographie canadienne.
Voir en ligne : Lire un extrait sur le site de l’éditeur
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