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Et une trilogie, une ! pour les 4e, 3e et le lycée.

Mu, le feu sacré de la Terre, de David Klass

Intervista, coll. 15-20, 2006, 444 p., 14,5 €

jeudi 12 février 2009

Je ne l’aurais pas lu si cet ouvrage n’avait été sélectionné pour le prix des Incorruptibles 2008/09, niveau 3e/2de (avec Chevalier B., de Martine Pouchain et Le Complexe de l’ornithorynque, de Jo Hoestlandt). L’occasion de jeter un œil sur la façon dont la sexualité est abordée dans un best-seller mondial pour ados. Le scénario est sans surprise, on a déjà lu de ces trilogies avec des bons très bons et des méchants à faire peur, des combats à toutes les pages, une paire de nibards et un message boy-scout, ici sur l’écologie, qui vaut au roman dix lignes de « préface » signées, excusez du peu, du directeur de Greenpeace. Ce sera sans doute le vainqueur de cette tranche d’âge des Incos cette année (c’est toujours le roman d’action qui gagne !) et d’ailleurs c’est du beau boulot, on sent le professionnalisme du scénariste et du romancier aguerri. Mais il est vrai qu’un lecteur aguerri, lui aussi, s’ennuierait un tantinet dès le deuxième combat, et aura tout oublié dès la dernière page tournée… à moins d’écrire un article !

Résumé

Jack Danielson a tout pour plaire : 18 ans, 1m87, sportif accompli, excellent dans toutes les matières, bon fils, à qui ses parents ont toujours inculqué la modestie, en lui recommandant de ne pas forcer son talent et de laisser la vanité de la victoire et de la première place aux autres. Mais ce jour où tout bascule, malheureusement, Jack a battu un record sportif, et a été vu à la télé. L’ennemi — pardon, l‘Ennemi, avec des majuscules c’est plus fort [1] — l’a donc repéré, et il se fait « flasher » par le regard qui tue d’un type dans un bar (non, ce n’est pas une technique de drague assistée par Ordinateur !). Dès les toutes premières pages — efficacité américaine oblige — la course-poursuite qui n’aura pas de trêve s’enclenche. Son père lui apprend qu’il n’est pas son vrai père, et se sacrifie pour lui (enfin, a-t-on bien vu son cadavre ?) en l’amenant prendre un bateau caché dans un endroit secret ; il part seul en vainquant ses premiers adversaires, arrive à New York, vend le bateau, se fait draguer comme un débutant par une jolie fille qui se retrouve à poil sur son dos à le masser, avant de se transformer en goule. Il fait connaissance avec Gisco, le premier Ami, un chien intelligent, qui non sans quelques combats le mène à son deuxième Ami, qu’il prend d’abord pour un Méchant, mais qui en fait lui donne des cours de combat en faisant mine de le tabasser sans jamais l’achever. Quand il parvient enfin à lui arracher son masque, il découvre… la ravissante Eko, une nymphe euh ! pardon, une « Ninja girl », qui lui donne des cours d’endurance tous azimuts, et lui apprend la terrible nouvelle de la catastrophe qu’a subie la Terre après le dépassement du « Point d’Inflexion » (avec capitales, bien sûr, p. 199). Il est censé être le Prince qui seul peut remédier à tout, envoyé dans le passé par son père, (un chef, sauveur de la Terre, « philosophe et homme de sciences », suivi par « les Gardiens ou le peuple de Dann », p. 199) qui n’a trouvé que cette solution avant de se faire gauler par « l’Armée des ténèbres » (p. 209)… Eko se retrouve à poil sur son dos, mais vaillamment Narcisse… Euh ! Jack, résiste à ses avances, jusqu’au moment où les Méchants arrivent. Eko se sacrifie pour lui (enfin, a-t-on bien vu son cadavre ?). Retour de Gisco ; on se retrouve sur une coque de noix, on manque mourir, on est recueilli in extremis par un bateau de pêche dont le capitaine (« Son visage n’est pas cruel, mais dur » (p. 271) : brr, quel thriller !) est vraiment pas gentil, et racle le fond des mers sans aucun respect de l’environnement. On casse tout sur le bateau, et pour vous punir, le méchant capitaine vous ligote et vous noie, etc. Mais ce n’était pas lui le vrai méchant très méchant. J’ai nommé Dargon, et alors là, attendez-vous vraiment à de l’action et à des rires sardoniques qu’on frémit d’avance à l’idée qu’un neveu pourrait avoir la mauvaise idée de vous demander de l’emmener voir ça au cinéma pour son anniversaire !

Mon avis

On l’aura compris, rien de bien nouveau dans la forme de cette trilogie, à ranger sur l’étagère des premiers tomes de trilogies. L’auteur sait écrire, le vocabulaire est riche, un « solipsisme » (p. 397) y fait la nique à des « accidentelles » (p. 285) ; de nombreux poètes sont cités (rien que des grandes marques, comme Basho, p. 202) ; on en a pour son argent ! On repèrera quelques passages argumentatifs écolo, par exemple p. 197, dans la bouche d’Eko, qui fait écho au discours écolo-light ambiant (en attendant le discours anticapitaliste-light…). Un athéisme pas très convaincu règne : le « Ni Dieu ni vie après la mort » (p. 206 ; on aurait cru autre chose après le second ni !) laisse vite place à d’amusantes prières dans l’adversité (p. 245). Relevons encore un assez réussi trio argumentatif sur les dégâts de la pêche industrielle, entre le chien, le héros et un marin ivre mort ; mais certains regretteront sans doute que le mot « génocide » soit employé à propos de poiscaille. Relevons maintenant les allusions à la sexualité. Comme le dit le narrateur au début, le sport est « Très important. Surtout pour un ado mâle » (p. 10), lequel honore sans trop de regret le machisme de son sexe : « Il n’était guère recommandé de se pointer au lycée avec quelque bijou que ce soit » (p. 327). Pourtant, il aime se faire rembarrer par P.J., sa fiancée officielle, avec qui il voulait conclure, notez bien, juste le soir même où sa vie bascule ; quel manque de chance, quand même ! Celle-ci lui répond : « Je lève bien les jambes et toi tu te charges de mettre entre les poteaux ? » (p. 12). On est dès lors bien dans le cadre d’un best-seller destiné à devenir un film à grand spectacle. La marque commerciale « Luc Besson » est d’ailleurs imprimée sur la couverture du livre ; c’est tout dire. Lors de la première rencontre érotico-martiale, le héros « frôle l’épectase » (p. 46), avant d’être puni pour s’être laissé aller. Eko, dans un premier temps, ne parvient pas à le convaincre de nager à poil. Il conserve son maillot [2], et évidemment, elle se retrouve à poil devant lui (p. 174). Pensez au film ! Enfin, une occasion se crée, semblable à la première, où le beau Jack se fait à nouveau soigner (ah ! le fantasme de la nurse !) par une Eko plus tentatrice que jamais, dans sa chambre où il découvre une de ses peintures érotiques, et c’est la fidélité au souvenir de P.J. qui le retient : « je veux que ma première fois se déroule avec quelqu’un que j’aime » (p. 228), alors qu’Eko tente inutilement de le mettre en garde contre le danger d’être puceau face à des méchants qui vont jouer sur ses points faibles. L’occasion étant ratée, et toujours fidèle à la fameuse P.J., Jack se retrouve sur le bateau qui le sauve in extremis, dans un milieu plus familier : « j’apprécie d’être au milieu d’autres hommes, qui ont pratiquement mon âge » (p. 276). Que croyez-vous qui lui passerait par l’esprit ? Macache ! Ces jeunes matelots ne pensent qu’à se virilement étriper et insulter. Rien à dire, ce sont des mâles, ils ne doivent pas porter de boucles d’oreilles !
Bref, un futur film qui nous fait songer au jugement cinéphobe de Léo Ferré dans « Les Cinéastes », sonnet du recueil Poète ! vos papiers… de 1956 : « Mais il y faut surtout la paire de nichons / Pour trouver l’abruti qui donnera l’oseille » Plus sérieusement, nous sommes d’avis que le milieu français (ou du moins européen pour inclure les auteurs britanniques) de la trilogie n’a rien à envier à son concurrent ricain. Quant à la thématique sexuelle, qui pimente ici (non, disons qui sale ou qui corniche) le récit, eh bien, ça ne casse pas la troisième patte à un canard…

Lionel Labosse


Voir en ligne : La page consacrée à l’auteur sur Wikipedia (en anglais)


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[1L’usage de la majuscule est plus fréquent en anglais ; en français, elle est moins neutre.

[2Ce qui est amusant, sachant qu’aux États-Unis, il est considéré comme pornographique et du plus haut ridicule pour un homme de se présenter sur une plage avec un maillot de bain à la française : seul le bermuda à la saoudienne y est considéré comme décent