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De la crainte du « joli dessin » au dessin « juste »

Le Banquet de Platon illustré par Joann Sfar

Bréal, 2003, 142 p., 13 €.

vendredi 6 avril 2007

Cet album réunit le texte intégral du Banquet, dans la traduction de Paul Vicaire (Les Belles Lettres, 1992), de nombreuses « interventions graphiques » de Joann Sfar, ainsi que ses « nonotes » et commentaires en contrepoint, manuscrits pour notre grand plaisir. Si l’absence totale d’autocensure rend cet album difficile à protéger d’une descente de la « police des mœurs » dans votre C.D.I., en revanche il peut être conseillé, voire offert à un lycéen particulièrement intéressé par la philo ou par le dessin.

Alternant pleines pages et croquis marginaux, Joann Sfar illustre avec humour les passages les plus célèbres, comme celui des androgynes, et présente sans fard la sexualité libre de nos Athéniens préférés. Ses personnages exhibent leurs grappes bachiques et tiennent des propos dignes de l’Académie : « j’ai tellement limé hier que j’ai la bite en chou-fleur alors si on pouvait avoir des discussions intelligentes, j’aimerais autant » (p. 18). Un convive évoque son précepteur qui « [l]’a enculé tous les jours sans [lui] demander son avis » depuis l’âge de treize ans, et demande à Socrate « Est-ce que tu penses que l’intelligence entre par le cul et si oui est-ce qu’on peut la faire entrer de force ? » (p. 30). Sous la crudité du propos, Joann Sfar est loin d’idéaliser l’homosexualité à la grecque. Il précise sa pensée en conclusion, commençant par cet aveu : « La première fois que j’ai entendu parler d’homosexualité, c’était au cours d’hébreu. J’ai demandé au rabbin ce que ça voulait dire « homosexuel », il m’a répondu que c’était aussi grave que d’épouser une fille non-juive. Comme il me laissait le choix, j’ai opté pour la fille non-juive » (p. 120). Puis il élabore une théorie fumeuse sur l’homosexualité grecque, et le soleil, selon lui nécessaire à la philosophie : « L’invention grecque, plutôt que l’homosexualité, c’est les femmes à la maison, sauf les putes, et les hommes au bistrot » (p. 124). Il fait un parallèle entre pédérastie et « matelotage » (p. 125), et conclut : « La pédérastie ne relève donc plus de l’homosexualité telle qu’on la perçoit aujourd’hui. C’est une des phases du plan permettant de s’extraire des femmes » (p. 127). Il évoque aussi l’amour des maîtres, qui selon lui explique « qu’on n’apprend rien au collège » (p. 129).

Joann Sfar profite de la discussion sur le beau pour justifier son esthétique en des termes passionnants : « j’ai été formé dans la crainte du « joli dessin » [qui] relève plus du geste de l’artisan que de l’esprit du poète ». Ce qu’il cherche, c’est le « dessin juste », qui « exprime l’amour de la réalité et qui tente non pas de la reproduire mais plutôt de la comprendre » (p. 71). « Le dessin n’est pas une connaissance des formes, il est l’expression d’un amour de ces formes » (p. 122) [1]. En ce qui concerne l’esthétique littéraire, on fera lire avec profit la réflexion finale sur le commentaire de texte : « Toute leçon visant à faire croire que la lecture est un acte rationnel est un mensonge » (p. 139). Comme le dit un convive, « maintenant, la philo, c’est au bac, avant, c’était aux bacchanales » (p. 94).

 Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu

 Joann Sfar est également auteur de la série mythologique Socrate le demi-chien, illustrée par Christophe Blain, où la réflexion entamée dans Le Banquet est prolongée…
 Voir notre article sur Le Banquet, contenant un extrait et des suggestions pédagogiques.
 De Joann Sfar également, le conte illustré L’Homme–Arbre (tome 1 : L’Étoile Polaire), présente en passant une parole assez osée sur la sexualité dans un ouvrage qui, par sa forme, s’adresse à des enfants. L’un des personnages, un gnome, se retrouve suite à une sorte d’hibernation, avec un « appareil urio-génital » très développé. Il « attrapa son pénis et le fit tournoyer en tous sens, comme s’il agitait un drapeau ». Il fait remarquer à l’Homme–Arbre que lui n’en a même pas ; celui-ci rétorque : « Moi, j’ai du plaisir par tout mon corps […]. Tiens, te sentir dans mes bras, ça me procure de la joie. » Le gnome le traite alors de « Pédé ! » (p. 108). Plus loin, ce même gnome doit se faire circoncire pour une raison que je vous laisse découvrir, ce qui donne lieu à une séquence délirante, où son « prépuce tournoyant » est comparé à de la pâte à pizza que fait tournoyer un pizzaiolo ! (p. 179).

Lionel Labosse


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[1À comparer avec les propos de Coyote, qui est de l’avis opposé.