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Quêtes d’affection croisées, de la 3e au lycée

Frances (Épisode 1), de Johanna Hellgren

Cambourakis, 2008, 96 p., 16 €

mercredi 29 décembre 2010

En un épisode de quelques jours, on a la vision édifiante d’une famille unie par… la haine ou au mieux le silence. Le père grabataire va bien avec sa fille cadette, mère matrile dont les filles jumelles suivent le chemin tout tracé de garce étouffante et injuste. Ada, la fille aînée lesbienne qui a toujours vécu dans la discrétion et s’est sacrifiée pour la famille endure tout, mais semble trouver un peu de complicité dans la petite Frances, orpheline sensible élevée tant bien que mal par un père vagabond et une veille dame mystérieuse. Le trait subtil au crayon de papier, qui s’accommode autant des vignettes que de certaines pleines pages, permet un moyen terme entre la mélancolie et le ton narquois d’une enfant contemplative qui sait observer le monde. Tant pour l’épisode 1 que pur l’épisode 2 (voir ci-dessous), signalons de la belle ouvrage, comme on dit, papier, mise en page, reliure, couverture, tout concourt à mettre l’œuvre en valeur. À retenir pour une idée de cadeau.

Résumé

Tirée à quatre épingles, Ada se rend à la campagne chercher Frances, sa nièce. Son petit frère August est mort, elle le fréquentait peu sans doute, car sa nièce ne la connaissait pas, pas plus que le grand-père grabataire et amnésique qui occupe un fauteuil au salon de la maison familiale. Frances vivait avec une vieille dame, Matilda, dont on ignore les liens avec le défunt, sauf qu’elle lui reprochait de lui laisser la garde de Frances alors qu’elle lui avait juste loué l’appartement. Pas farouche, Frances fait la connaissance de la voisine Louise, écrivaine qui promène ses trois lévriers. Le reste du temps elle s’ennuie, car le grand-père « le seul qui veut bien de ma compagnie est quasiment mort ». Elle fait la connaissance d’Anne, son autre tante, et de ses cousines jumelles, de petites pestes contre lesquelles il lui faut se défendre. Anne est comme ses filles une « garce », qui laisse à sa sœur plus âgée et célibataire tout le soin du grand-père, et lui fait pourtant des reproches perpétuels : « Quel repas lourd ! si c’est comme ça que tu nourris papa, il n’en a plus pour longtemps ». On devine aussi ce qu’a dû endurer le mort : « Elle a du charme, mais ça se voit qu’elle a été élevée par un homme ». Anne est une mère étouffante pour son mari, qu’elle manipule à sa guise. Le grand-père confond Frances et son propre fils – August, le père de Frances –, il en profite pour faire des reproches à Ada, qui remarque : « Quel dommage que tu aies attendu sa mort pour dire quelque chose de gentil d’August ». Frances s’imagine que son père a été tué, mais Ada lui fait remarquer qu’il avait beaucoup bu quand il est tombé. C’était un « vagabond ». Ada se fait draguer par Louise, qui se rappelle l’avoir vue régulièrement dans un endroit pour filles. Frances apprécie sa présence, mais un samedi matin où Louise est restée dormir à la maison familiale, la tante, ses filles et son mari débarquent à l’improviste. Celle-ci demande des comptes à sa sœur, et envoie bouler son mari potiche qui tente de calmer le jeu.

Mon avis

Une belle histoire de famille comme il en existe tant, où les sourires hypocrites cachent des sourires carnassiers. Le personnage d’Ada est attachant, cette femme dévouée aux autres qui laisse une petite porte ouverte pour sa propre existence, porte que sa voisine saura entrouvrir, comme Frances qui sert de lien involontaire entre les deux a su entrouvrir la sienne. On apprend en quelques mots l’existence d’une liaison antérieure avec une certaine Lydia, dont il ne reste que le souvenir, à l’image de l’album familial que découvre Frances, et qui n’est riche que de ses vides : « C’est ici que ça commence à clocher. À partir d’ici il y a des pages blanches. Là, où on aurait pu s’attendre à voir ses parents. Au lieu de ça, grand silence […] Seulement ces deux cousines aux têtes d’anges malveillants. Pas d’August, pas d’Ada, pas de grand-mère non plus ». À l’imagination de suppléer ce vide. Les trois chiens de Louise symbolisent peut-être ce que n’a pas été la fratrie, d’où leur présence en couverture.

 Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu

 Paru en 2010, l’épisode 2 (128 p., 19 €) laisse au second plan la thématique lesbienne et traite de parentalité. On revient sans prévenir en arrière sur la naissance de Frances. August l’a conçue une nuit de beuverie avec la très jeune Ester. Tous deux ont des emplois précaires. August ne se défile pas, la perspective de la paternité le ravit, alors qu’Ester voudrait avorter [1]. August appelle de temps en temps sa grande sœur pour réclamer de l’argent. Ester se fait licencier de son emploi de bonne d’enfant. Le contexte est conservateur. L’auteure étant née en Suède, on peut supposer que l’action s’y déroule, dans une époque passée (le fait qu’on suppose comme évident un mariage religieux et qu’on parle d’un roi constituent des indices). L’enfant finit par naître, et la jeune maman l’abandonne au père et prend le train pour une destination inconnue. Ce récit rétrospectif est entrecoupé de quelques scènes de la vie de la petite Frances qui vit toujours chez Ada et Louise, ainsi que de scènes de livres d’enfants lus à deux époques différentes, ce qui demande une grande attention au lecteur. Louise vient de publier un livre. Elle ne supporte pas certaines critiques qui lui reprochent le ton trop libre, et le fait que le personnage ne veut pas d’enfant. Frances lit le livre et s’imagine que Louise s’est inspirée de sa propre vie, et qu’on lui cache des informations ; Ada doit la rassurer. Ce qui touche dans ce livre c’est la compassion avec laquelle ce personnage de père improbable mais responsable est traité, contrastant avec des femmes qui fuient la maternité, en rupture totale avec la vogue actuelle de la lesboparentalité.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le site de Johanna Hellgren


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[1Comparer avec le récit de l’avortement dans le 1er tome de Bitchy Bitch, de Roberta Gregory.