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Quadra célibataire aigrie, pour lycéens et adultes

Bitchy Bitch en vacances, de Roberta Gregory

Vertige Graphic, 1999, 92 p., 11 €

samedi 1er janvier 2011

Roberta Gregory a créé son personnage de Midge pour la revue Naughty Bit. Midge aura aussi sa contrepartie lesbienne, Bitchy Butch. Dans ce volume crédité en France du n°2 de la série, Midge décompresse, si l’on peut dire, grâce à un séjour balnéaire promotionnel dans un pays pauvre. De retour au bureau, elle fait tout pour éviter sa mère et sa tante, et découvre une nouvelle collègue lesbienne, ce qui lui fait découvrir encore plus aigrie qu’elle-même !

Résumé

À force de maugréer contre tout et n’importe quoi, Midge, la quarantaine aigrie, découvre qu’elle a jeté une enveloppe contenant un bon pour un voyage gratuit dans une île de rêve. Elle qui avait demandé à échanger ses congés payés contre de l’argent, la voilà contrainte à décompresser. Cela lui permet d’ailleurs également de déserter au moment même où sa mère débarque en ville pour assister sa tante qui se fait opérer. Elle investit dans un maillot de bain, et finit par passer une annonce pour revendre le 2e billet gagné. Elle rêve d’un bellâtre, hélas, le client s’avère un thon qui se prend pour un photographe. Elle sera ignoble avec lui depuis l’avion jusqu’au moment où elle se rend compte qu’il l’a raccompagnée dans son bungalow raide bourrée et qu’ils ont peut-être fait l’amour. Elle trouve tout horrible, a des préjugés sur les noirs, les juifs, les pauvres, les Mexicains, les femmes de ménage, les hommes. Elle rêve d’un homme pendant toute la semaine, mais quand elle en trouve un, ses règles tant redoutées débarquent. Comme on lui donne la combine pour négocier les colifichets vendus dans les quartiers touristiques, elle s’encombre d’un tas de cadeaux dont elle ne saura que faire.
Au retour au bureau, on fête le départ d’une collègue et l’arrivée d’une autre. Elle fait en sorte de ne rien donner au pot de départ. Les deux grenouilles de bénitier du bureau sont dans tous leurs états parce qu’elles viennent de découvrir le sens du triangle rose qui orne la voiture de la nouvelle, Barb. C’est le dernier épisode du livre, qui permet de traiter en détail la question de l’homophobie. Midge semble avoir trouvé pire qu’elle, car l’une des deux homophobes, Marcie, se met à révolutionner le bureau pour faire signer une pétition « pour empêcher tous ces homosexuels de prendre le contrôle du pays ». Elle fait du chantage : c’est elle ou moi. Midge espère que la grenouille va s’en aller, mais dans l’intervalle, semble surtout craindre qu’on la prenne pour lesbienne aussi, et donc trouve des prétextes bidons pour éconduire la nouvelle à qui elle a promis de déjeuner avec elle, parce qu’elles se sont reconnues, anciennes de la même fac. Mais elle s’en veut de donner des gages à « cette petite punaise de Marcie » qui prétend que « les chrétiens sont la minorité la plus persécutée ». Midge découvre que Barb a une amie, Lanie et une fille, Tanya. Elle se demande à laquelle est l’enfant, dont elle imagine qu’elle « sera gouine aussi ». Elles promettent de l’inviter à déjeuner…

Mon avis

C’est plutôt une BD pour adulte, qui fait penser à un croisement entre Les Frustrés de Claire Bretécher, et un album de Reiser. Les dessins relèvent de la caricature, et rebuteront évidemment les amateurs de dessin plus léché. À chaque fois que l’héroïne est en colère, sa bouche est plus ou moins horriblement déformée, jusqu’à ressembler à une sorte de chat sauvage. La sexualité a une place importante, plutôt comme fantasme de l’héroïne frustrée, dont le rêve d’amour de vacances butera sur une énigmatique capote usagée. L’épisode final d’une quinzaine de pages fait toute la valeur de l’album, car la question de l’homophobie avait sans doute rarement été traitée en bande dessinée grand public. Du moins c’est une sorte d’ovni dans notre sélection. On peut l’utiliser en classe, même en collège.

 Le tome 1 (publié en France aux éditions Bethy) s’intitule Bitchy Bitch tout court, il est daté de 1998 que ce soit pour la version originale et la traduction par François Peneaud. Il fait 90 p. et n’est plus disponible. Il contient trois pages de présentation de l’auteure par Jean-Paul Jennequin. Roberta Gregory a connu des années de galère et de militantisme féministe et lesbien avant de connaître le succès. Elle a publié dans le journal Gay Comix dans les années 1980. Le livre contient une suite d’histoires courtes, dont l’action se situe à différentes époques de la vie de l’héroïne, de l’enfance à l’âge adulte, et publiées dans les années 90. On apprend que littéralement, « Bitchy Bitch » peut se traduire par « Salope râleuse ». C’est dans « Hippie Bitch s’envoie en l’air » que le lesbianisme et surtout la lesbophobie sont brièvement abordés. Arlène, une copine de fac, est l’objet d’un harcèlement lesbophobe (« Gaffe, touche pas la gouine ») et Midge, fidèle à son caractère égoïste, la fuit comme la peste, et fait tout pour rejoindre le groupe de hippies de la fac et ne plus ressembler à son ancienne copine. La mode hippie constitue pour Midge non pas une contestation, mais un nouveau conformisme qui lui permet de se fondre dans un groupe et de se démarquer du conformisme réac de ses parents. Après avoir changé de look, elle s’exclame : « Personne me prendra plus pour une amie d’Arlène ». Elle se fait déflorer par le premier mec venu dans une fête hippie, et se retrouve en cloque. Les deux épisodes consacrés à l’avortement sont extraordinaires, notamment la double page où Midge imagine le bébé qui gonfle dans son ventre et finit par prendre toute la place, l’aspirer et la jeter comme une épluchure. Midge subit un avortement clandestin en cachette de ses parents, qui se passe bien heureusement, mais rien ne nous est épargné de toutes ses angoisses avant et après. Ironie du sort, c’est Barb, qu’elle retrouvera des années plus tard comme lesbienne accomplie, qui l’aide à avorter !

 Le tome 3 s’intitule Les rudes études de Roberta. C’est un retour en arrière sur l’arrivée en fac de Roberta [1], début des années 70, la découverte de la sexualité, les mouvements féministes, anti-guerre et même pro-gay. Le livre date de 1995 et 1997, il a été traduit en français en 2004 par François Peneaud. Là encore c’est à la fin du volume que l’homosexualité est traitée. Midge n’est pas contente quand les droits des gays sont abordés lors des réunions féministes : « On réussit à faire quelque chose et ces foutus homos veulent prendre le contrôle ! Les gens pensent déjà que les féministes sont toutes lesbiennes… j’ai bien besoin de ça… Merde… » (p. 58). Quelques jours après, elle découvre sa cothurne Céleste au lit avec Renée. Elle qui redoutait une « fille de couleur » comme colocataire, elle traite Renée de « sucre brun » ! Elle décide de quitter la fac, à la fois pour être indépendante vis-à-vis de son père réac, et vivre le féminisme à sa façon (en se tapant des mecs) : « Je peux dire à cette petite gouine de Céleste… d’aller se faire foutre ! » (p. 68).

 Voir Locas, de Jaime Hernandez, un exemple très différent de la bande dessinée indépendante étasunienne, avec des personnages bisexuelles.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le site de Roberta Gregory


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[1Pourquoi Roberta et non Midge ? Mystère…