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Suis-je vraiment lesbienne ? à partir de la 3e.
La Fille qui rêvait d’embrasser Bonnie Parker, d’Isabelle Gagnon
Éditions du Remue-ménage, 2010, 120 p., 14 €
mardi 1er mai 2012
Florence, 16 ans, a un bon ami, Andy, mais qui n’est pas son amoureux. Elle évite de se poser des questions intimes, mais le retour de sa meilleure amie d’enfance, Raphaëlle, la pousse dans ses retranchements. Raphaëlle avait soudainement rompu tout lien avec elle, et Florence est estomaquée quand elle apprend que la raison de ce silence était la honte qu’éprouvait son amie d’avoir eu une relation amoureuse avec une fille. Petit à petit elle prend conscience de la nature de leur amitié, aime ouvertement son amie, et se revendique aussitôt lesbienne malgré les inconvénients qu’engendre cette étiquette. Isabelle Gagnon pose à travers ces personnages des questions très naïves autant qu’utiles sur l’homosexualité en tant que choix de vie.
Résumé
Florence n’a pas de petit ami, « juste un très grand », Andy, avec qui elle fonde un groupe de musique, Bonnie and Clyde. Elle est bouleversée d’apprendre le retour de sa meilleure amie d’enfance, Raphaëlle, partie deux ans à Londres, suite à la séparation de ses parents. Raphaëlle avait rompu tous les ponts sans explications, malgré des liens très forts : « Aujourd’hui je peux le dire : je l’aimais trop. Je ne crois pas que les autres filles rêvent d’être un garçon pour être plus proche de leur amie… Moi, j’ai déjà pensé à ça. Être un garçon m’aurait simplifié la vie » (p. 23). Elle est irritable, jalouse de la relation d’Andy avec sa copine Chloé, engueule son père, etc. Quant elle finit par sonner à la porte de Raphaëlle, celle-ci lâche tout de suite le pot aux roses : elle a eu une relation amoureuse avec une fille, Mary, elles ont été dénoncées et victimes d’homophobie notamment de la part de la mère de Mary, particulièrement réac. La première réaction de Florence est la fuite. Elle « n’arrive pas à prononcer ni à écrire le mot exact » (p. 45) dans son carnet (le récit alterne le carnet de Florence et le récit à la 3e personne d’un narrateur omniscient), mais elle informe Andy, puis ses parents et son petit frère Thomas de la situation, en ne cachant pas qu’elle croit être également lesbienne. Andy profite d’une situation pour l’embrasser sur la bouche, mais elle le rembarre fermement, et emploie le mot « lesbienne » pour la première fois à cette occasion. Ses parents se rapprochent d’elle par empathie, alors que les rapports étaient tendus auparavant ; au contraire, Thomas le prend mal, et la traite de « maudite lesbienne » (p. 62), notamment parce qu’il craint d’être victime de « contamination du stigmate » à l’école. Grâce à l’esprit extrêmement ouvert du père de Raphaëlle, les choses vont se passer au mieux. Raphaëlle est une excellente chanteuse, recrue de choix pour le groupe Bonnie and Clyde. C’est là que gît le lièvre, car Florence en pince pour Pedro, nouvelle recrue du groupe : « Je suis peut-être bisexuelle ? » (p. 83). Cela ne va pas simplifier la situation.
Mon avis
La fille qui rêvait d’embrasser Bonnie Parker est un roman frais et naïf. Le personnage semble découvrir l’homosexualité au moment où elle lui arrive, comme si on ne lui en avait jamais parlé, ce qui permet au jeune lecteur de bonne foi de s’identifier à elle. Il est invraisemblable et amusant qu’elle se mette à taper « homosexualité » sur Internet, et tombe non pas sur des sites pornos, mais uniquement sur des sites faisant état d’actes de harcèlement homophobe, à l’exclusion d’autres infos. Sa mère elle aussi pianote, et tombe sur la nouvelle d’un attentat à Tel Aviv dans un centre gai et lesbien en 2007, qui la terrorise et lui fait craindre le pire pour sa fille. Ce choix est particulièrement significatif : la vie en Israël est difficile et dangereuse partout et pour tous, les attentats sont très fréquents, et focaliser sur cet attentat-là est révélateur. Il y a eu sans doute beaucoup plus d’homos parmi les victimes d’attentats kamikazes que de victimes de cet attentat spécifiquement homophobe ! Je ne reproche pas à l’auteure d’avoir introduit ce motif, mais que parmi tous les personnages du livre, aucun ne remette les pendules à l’heure. De même, quand Florence fait ce choix de crier sur les toits qu’elle est lesbienne avant même d’avoir échangé un baiser avec sa copine, puis craint ce qui pourrait se passer : « Raphaëlle et moi, si nous nous embrassions à la sortie de l’école, je n’ose même pas imaginer ce qui se produirait » (p. 71), et plus tard : « Elle doit faire face à qui elle est : une fille qui aime une autre fille. Mais pourquoi se réduire à ça ? Pourquoi les gens la réduiraient-ils à ça ? Le fait de préférer les filles aux garçons lui semble un détail insignifiant prenant vraiment trop de place dans sa vie… » (p. 95). Là aussi, il est dommage qu’aucun personnage ne fasse prendre conscience à l’adolescente de ses contradictions : peut-on crier sur les toits qu’on est lesbienne, et accuser les autres de vous réduire à cela ? Heureusement le récit réalise ce souhait, puisque d’une part Florence s’accomplit grâce à la musique, d’autre part, sa relation avec Raphaëlle ne la coupe pas de ses amis, au contraire, elle se rapproche d’Andy, et même un peu trop (pour le goût de Raphaëlle) de Pedro. On attend la suite, car se profile un personnage de jeune bisexuelle, sujet peu traité en littérature jeunesse.
L’un des intérêts d’un livre publié au Canada est de relever les idiotismes. Peu de « joual » dans ce livre (d’ailleurs l’auteure est installée à Paris depuis 10 ans), mais quelques mots typiques ici ou là. L’usage du mot « gaie » est frappant, parce que rare au féminin : « Elle est gaie. C’est évident. Elle aime les filles. Florence préfère les filles aux garçons » (p. 44). Mais Florence utilise aussi le mot « homo » (p. 64), et bien sûr, « lesbienne ». La narratrice utilise, dans un dialogue, les mots « tapette » et « fif », célèbre québécisme (p. 82), puis l’insulte « maudite gouine », dans la bouche de la fielleuse Chloé (p. 91), et « bouffeuse de chatte » ou autres gracieusetés parmi les insultes à l’école (p. 99).
– Le livre est illustré de plusieurs photographies de Perrine « La Fraîcheur » Sauviat.l
– Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».
– Voir notre bibliographie canadienne.
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