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Carnet de voyage : mettre ses pas dans les pas de Musset en Italie
À Florence (et à Rome), sur les traces de Lorenzaccio
De l’art de voyager ?
samedi 3 mai 2014, par
Quand j’ai décidé de passer les vacances de la Toussaint 2013 à Rome et à Florence, je ne pensais pas le moins du monde au travail effectué l’an dernier au sujet de Lorenzaccio. Et puis voilà, retour du refoulé, je me suis pris au jeu d’agrémenter cette visite du fantôme de Lorenzaccio, fil rouge qui donnerait un sens, qui en vaut bien un autre, à mes déambulations dans les rues de la ville. Vous pouvez visionner mes 300 photos de ce voyage sur Dropbox, dont beaucoup n’ont rien à voir avec Lorenzaccio. Si vous souhaitez une précision sur une photo, demandez-moi (mais il y a des détails dans les articles), car je ne sais pas comment introduire sur Dropbox les commentaires des photos du logiciel que j’utilise. Cet article constitue donc un codicille à la série d’articles engendrés par la mise au programme de terminale L de Lorenzaccio de Musset. Vous trouverez dans un article à part le reste de mes élucubrations sur Rome (et sur Florence).
Lorenzaccio : Musset me hante
À peine débarqué à Rome, je commence par la basilique Sainte-Marie-Majeure. Mes pas me dirigent au hasard dans la première chapelle à droite en entrant. Je jette un œil circulaire, et qu’adspicé-je ? Une plaque de marbre consacrée à un « Filippo Strozzi », certes du XVIIIe siècle et non le Philippe Strozzi de l’époque de Lorenzaccio, mais quand même ! Signe que Musset m’habite, et que peut-être, ce fil rouge incongru de la pièce de Musset en vaut bien un autre pour découvrir Florence, et même Rome.
Le soir même de mon arrivée, je marche jusqu’au Colisée, et contemple à la clarté de la lune l’arc de Constantin, dont Musset nous rappelle que Lorenzino « avait décapité les statues ». Les huit statues visibles actuellement représentent des prisonniers Daces, et sont des remplois probables du Forum de Trajan. Elles sont situées en hauteur, et l’on voit mal ni pourquoi, ni comment Lorenzino ivre serait monté sur le monument pour mutiler ça, ni, comme le dit Alexandre, pourquoi le pape aurait fait un caca nerveux pour la perte de « ces statues qu’il excommunierait demain, si elles étaient en chair et en os » (I, 4). Il pourrait s’agir des têtes émergeant des bas-reliefs sur les côtés de l’édifice ; de toute façon, ce fait de vérité historique ne nous apprend pas grand-chose sur notre personnage…
Me voici donc à Florence. Posons nos bagages, et en avant sur les traces de Lorenzaccio ! (Oui, même s’il m’est impossible de mettre un mot en italique dans le titre de cet article, c’est sur les traces de la pièce que je suis allé, pas du personnage). J’avais peu de noms sur ma liste de lieux à repérer constituée en complicité avec les éminences grises du site Lettres Volées, et c’est un premier signe. Musset n’a pas fait dans le pittoresque ; il n’a mentionné aucun des lieux phares qu’il n’a pas pu ne pas voir lors de son voyage, et dont certains existaient aussi à l’époque de l’action. J’ai commencé par le Duomo, ou plutôt Santa Maria del Fiore, l’un des rares bâtiments mentionnés dans le texte de Musset. C’est d’ailleurs le peintre Tebaldeo qui prend en charge ce minimum syndical question pittoresque : « Pourquoi m’en voudrait-on ? je ne fais de mal à personne. Je passe les journées à l’atelier. Le dimanche, je vais à l’Annonciade ou à Sainte-Marie ; les moines trouvent que j’ai de la voix ; ils m’habillent en drag-queen, et je fais ma partie dans les chœurs, quelquefois un petit solo : ce sont les seules occasions où je vais en public. Le soir, je vais dans les backrooms, et quand la nuit est belle, je fume des joints sur mon balcon » (Acte II, Scène 2). Dans l’une des deux scènes retranchées du manuscrit, Musset était plus précis, et faisait dire au peintre, qui s’appelait Freccia : « Il y a au fond de Sainte-Marie une petite chapelle derrière le chœur, avec un confessionnal de bois uni. S’il m’était permis de demander ce qui fait l’objet de tous mes désirs, je vous prierais d’obtenir pour moi d’être chargé de peindre à fresque les murailles et la voûte, et de faire pour le confessionnal deux statues d’albâtre, dont j’ai commencé l’ébauche à la maison ». J’ai donc photographié pour vous cette chapelle, mais de loin, car le public n’est pas admis derrière le chœur.
Vu la profusion architecturale de cette cathédrale, on comprend que Musset se livre peut-être là à une mise en abyme de son ambition d’écrivain. Il ne veut pas être Hugo ni Dumas (ni le futur Émile Zola), les équivalents de « Raphaël et notre divin Buonarroti », comme dit Freccia dans la suite de cette scène retranchée, mais un bon peintre aux ambitions plus modestes. Il faut dire qu’en Italie, derrière les stars mondialement connues, il y a toute une théorie d’artistes révérés, et à juste titre. Je vous laisse lire dans cet article mes impressions de la visite de la coupole du Duomo. Après cette assomption dans les abysses de l’art architectural moderne, on redescend par l’autre escalier en colimaçon. J’ai tourné d’une seule traite jusqu’en bas, et plein de ces visions sublimes, parvenu au niveau du sol, je continuais à tourner, à l’instar de Charles dans le film Zazie dans le métro, dans cette séquence où Louis Malle pastiche le film The Lavender Hill Mob de Charles Crichton (1951). Loin du syndrome de Stendhal, j’étais atteint de cette maladie mentale de l’écureuil fou qui continue à tourner hors de la cage. Eh oui, alors que le programme de terminale littéraire a changé, je continue à vouloir travailler sur Lorenzaccio comme on le fit avec l’équipe de Lettres volées sur Zazie, en pastichant le reportage échevelé que nous fîmes sur les lieux de tournage du film. Cela faisait un moment pourtant qu’Agnès Vinas me tannait pour que je me misse à l’œuvre qui a remplacé Zazie (Les Mains libres d’Éluard & Man Ray), mais que voulez-vous, il y a des êtres qui sucent leur pouce jusqu’à l’âge adulte ! Mais elle allait voir ce qu’elle allait voir, j’étais sûr de dénicher un scoop, du genre « petit couteau » rouillé ou « cotte de mailles » trouée !
L’Annonciade
Ma visite suivante fut l’Annonciade, ou plutôt la Basilique de la Santissima Annunziata, 2e des trois églises mentionnées par Musset (cf. ci-dessus). Si Musset a choisi cette église, c’est peut-être parce qu’elle est la plus marquée par la personnalité du peintre André del Sarto à qui il consacra une pièce de jeunesse. Non que ce peintre ait plus de valeur que ses illustres contemporains, mais le fait qu’il soit mort relativement jeune, qu’il ait connu la gloire jeune (les autres aussi, me direz-vous), et que son œuvre, quoique fameuse, reste modeste, lui vaut peut-être la préférence du modeste Musset. Il y a de plus dans ses toiles une sorte d’estompage, de grâce, de joliesse, qui plaisent à Musset.
Quand on voit ce buste de Michel-Ange réalisé par Battista Lorenzi à partir de son masque mortuaire au sein du monument de Vasari pour le tombeau de l’artiste dans la basilique Santa Croce, buste reproduit à des dizaines d’exemplaires à travers l’Italie et l’Europe, à l’instar de la statue antique d’Auguste, on comprend que le jeune Musset ait pu davantage s’identifier à un génie mort jeune. Et il n’y a pas que Michel-Ange, mais aussi Léonard de Vinci, vieillard dont la mort dans les bras de François Ier constitue un thème récurrent, que ce soit le tableau de Cesare Mussini visible à la Galleria dell’Accademia de Florence, ou celui d’Ingres, au Petit Palais à Paris.
Famille Strozzi & Alexandre de Médicis
Si les traces de Lorenzo sont réduites à la portion congrue, celles de la famille Strozzi abondent. Que ce soit le pompeux palais qui occupe presque un pâté de maison sur la piazza degli Strozzi et abrite des expositions, ou bien au nord de la ville la viale (avenue) Filippo Strozzi (c’est le nôtre, le plus célèbre de la dynastie), ou encore les nombreuses mentions du nom des Strozzi au hasard des églises et des musées, que ce soit à Rome ou à Florence.
Sur la photo ci-dessus, on peut voir que la caméra de vidéosurveillance qui jouxte la plaque de rue, réalise le vœu des princes de la Renaissance de tout contrôler dans la cité (sensible dans la mise en scène de Franco Zeffirelli en 1976, où selon Florence Naugrette, les murailles amovibles abolissent la frontière entre espace public et privé). Il faudrait d’ailleurs revoir cette mise en scène en ayant en tête que le maestro, qui n’a mis en scène que deux pièces de théâtre dans sa vie, est né à Florence. C’est dans certains tableaux que je cite dans cet article sans doute, qu’il faut voir l’inspiration des costumes et des décors de sa mise en scène. Par exemple, Jean-Luc Boutté, qui joue le duc, avec sa boucle d’oreille, ne ressemble-t-il pas au personnage de droite de l’Adoration des mages de Filippino Lippi ?
On retrouve les Strozzi encore à la Galerie des Offices (le plus grand musée de Florence), avec une Adoration des mages de Gentile da Fabriano, retable commandé pour la chapelle familiale des Strozzi au XVe siècle. C’est aussi aux Offices qu’on peut admirer le portrait d’ Alexandre de Médicis de Giorgio Vasari, avec Florence et son Duomo en arrière-plan (vue du nord avec un champ en premier plan, que j’ai d’abord pris pour l’Arno) ; sublime portrait en armure qui nous fait songer au portrait que réalise Tebaldeo, sauf que lui fait poser le duc « à demi nu » (II, 6). Mais en II, 2, Tebaldeo avait répondu à Lorenzo qui lui demandait s’il voulait lui « faire une vue de Florence » : « Je me placerais à l’orient, sur la rive gauche de l’Arno. C’est de cet endroit que la perspective est la plus large et la plus agréable ».
Il semble que Musset ait préféré une peinture à l’antique du duc, en armure, mais le « cou découvert », comme le dit la pièce. Si vous (à supposer que vous soyez enseignant en terminale) montrez à votre classe de TL la photo ci-dessus, que j’ai volée sans vergogne sur Wikimedia Commons, ne manquez pas de la décrire en évoquant le regard vide, la bouche fermée à toute sensualité, le nez pointé vers la concupiscence immédiate, l’apparence bling-bling de ce [placez là le nom de votre meilleur élève] devenu duc de Florence avec juste son bac en poche, et désireux d’en profiter à donf pour se taper des meufs. Je décline toute responsabilité si vous vous prenez un œuf à la figure ! Il existerait aussi aux Offices un « portrait d’Alexandre le More » par Bronzino (les informations glanées sur Wikipédia à propos de ce portrait sont confuses), que j’ai malheureusement raté lors de ma visite. Il se trouve dans la serie gioviana, c’est-à-dire les tableaux du couloir d’accès, que j’avoue avoir un peu négligé… Quant au portrait d’Alexandre par Pontormo, il se trouve au musée de Philadelphie ; ce sera pour un autre voyage !
Judith & Holopherne, David & tutti quanti
Que ce soit à la Galerie des Offices, au Palazzo Vecchio ou sur la piazza della Signoria (place principale de Florence depuis toujours, où se clôt la pièce de Musset), le thème du faible ou du malin qui terrasse le fort et le brutal est omniprésent dans la sculpture et dans la peinture. C’est Judith & Holopherne, la sculpture de Donatello dont l’original est au Palazzo Vecchio et la copie sur la piazza della Signoria, qui date du milieu du XVe siècle, et était donc en place à l’époque de notre Lorenzo. Cette statue fut commandée en 1457 par Pierre de Médicis pour le Palais Medici-Riccardi, à côté d’un David, de Donatello itou, commandé par Cosme l’ancien. À la chute des Médicis, le bronze est pris et exposé en 1495 devant le Palazzo Vecchio. En 1504, il cède la place au David de Michel-Ange, et est exposé dans la loggia des Lanzi. La célèbre peinture homonyme d’Artemisia Gentileschi qu’on peut admirer aux Offices, n’est que de 1620, donc hors compétition pour notre pièce, même si sans doute Musset a pu l’apprécier, de même que le tableau du Caravage Le Sacrifice d’Isaac (version de Florence, très différente de la version de Princeton), qui évoque pour moi tout à fait la vision que Lorenzo se fait de son meurtre, en pleine lumière, avec son « petit couteau ». Le musée du Palais Barberini de Rome présente le fameux Judith décapitant Holopherne (1598) du Caravage, qui n’a rien à voir non plus avec Lorenzaccio, mais symbolise peut-être la contre-réforme catholique combattant l’hérésie. La vieille servante à droite, avec son regard féroce contrastant avec l’horreur peinte sur le visage de Judith, peut se lire comme une allégorie du regard jamais innocent du spectateur.
Le thème du faible terrassant le fort se retrouve aussi dans le Génie de la Victoire de Michel-Ange, qui date de 1532, et qu’on peut voir dans la Salle des Cinq-Cents du Palazzo Vecchio. La sculpture représente un éphèbe qui terrasse un vieillard. Dans le même salon se trouve une série de Travaux d’Hercule par Vincenzo de’ Rossi. Hercule est encore un ancien symbole de la Signoria au XIIIe siècle, accaparé au XVe siècle par les Médicis, repris par les Hongrois qui dominèrent plus ou moins l’Italie à l’époque de Matthias Corvin. Là, ce n’est pas la même chose : il faut voir notre Hercule maîtrisant de son immense massue une Amazone soumise à ses pieds ! Dans la loggia, on trouve dans le même genre un superbe Hercule luttant avec le Centaure Nessus de Giambologna. Quant au célébrissime David de Donatello, il a été commandé par Cosme de Médicis dans les années 1430. La statue est confisquée en 1495, et considérée comme une allégorie politique pro-républicaine, présentant le renversement violent de la tyrannie des Médicis. Il est étonnant que Musset n’ait évoqué dans sa pièce aucun de ces symboles, qu’il ne pouvait pas ne pas avoir remarqués lors de son passage à Florence. Le David sera longtemps imité, jusqu’à la statue d’Antonin Mercié exposée au musée d’Orsay. Réalisée juste après la guerre de 1870, cette statue évoque l’espoir d’une revanche sur le géant prussien, comme l’expliquait un carton de l’exposition du musée d’Orsay en 2013 Masculin / Masculin. L’homme nu dans l’art de 1800 à nos jours. On se rappelle que Lorenzaccio, créé enfin en 1896, un an avant Cyrano de Bergerac, intéresse aussi par un aspect complètement minoré de nos jours, la révolte contre l’occupant allemand. Toujours sur la loggia des Lanzi, voici Persée tenant la tête de Méduse, fameux bronze de Benvenuto Cellini, commandée par Cosme Ier en 1554, donc après notre Lorenzo. En voici une vue renversante, sur fond du Palazzo vecchio.
Selon Wikipédia, la tête de Méduse brandie dans les airs par Persée illustrerait le triomphe du bien sur le mal et la victoire des Médicis sur les républicains de Florence qui les avaient expulsés de la ville en 1494 ! On voit que les politiques n’ont pas attendu nos modernes agences de conseil et autres spin doctors pour inverser les symboles à leur profit ! « Ce hâbleur de Cellini » est cependant nommé en I, 5, et intervient dans une des deux scènes retranchées par Musset. C’est aussi dans une exposition provisoire du Palazzo Vecchio que j’ai vu les clés de Florence, qui était une cité fermée la nuit ; détail auquel Musset n’a pas songé, quand il évoque la fuite nocturne de Lorenzo avec des « chevaux de poste ».
Autres merveilles de Florence
La Basilique San Lorenzo de Florence abrite une fresque inoubliable de Bronzino, le martyre de Saint-Laurent (1569), qui ne nous fait pas forcément penser au sacrifice de son homonyme chez Musset. Ce couvent contient également la cellule de Jérôme Savonarole. Ce personnage majeur de l’histoire de Florence a été complètement ignoré par Musset, et je ne me souviens guère l’avoir trouvé mentionné dans les ouvrages parascolaires. Pourtant, quand on lit Lorenzaccio, comment ne pas avoir en tête cet épisode républicain de l’histoire de Florence ? Quand Lorenzo conspue les républicains comme incapables de se battre pour la république et contre le tyran, il semble faire abstraction des trois épisodes anciens de la République florentine, dont le plus fameux et controversé est celui de la théocratie à Florence (1494-1498), qu’on doit à Savonarole. Ce républicain opportuniste n’a-t-il pas chassé la corruption & la sodomie de la ville, conformément au souhait de nombre de personnages de la pièce ? Il institua le bûcher des Vanités, où l’on brûla sur la piazza della Signoria un grand nombre d’objets impies, parmi lesquels des tableaux de Botticelli, lequel renonça au nu à cette occasion. Sur ladite place, une plaque commémore l’épisode de l’exécution de Savonarole, qui finit par y être brûlé à la grande satisfaction du peuple florentin. Scène qui préfigure l’ascension puis la chute d’Oliver Cromwell, qui instaurera en Angleterre un despotisme puritain entre 1649 et 1660, thème de la pièce-fleuve de Victor Hugo. Cela aurait dû relativiser les fulminations de Lorenzo sur les « hommes sans bras » !
Des Soderini, le nom de la mère de Lorenzino, je n’ai trouvé de trace que le nom d’un quai sur l’Arno, entre le pont Amerigo Vespucci (autre célèbre Florentin) et le ponte alla Carraia, mais nul palais. De retour à la maison, une simple recherche sur Internet m’a écœuré : ce site, permet de localiser en deux coups les gros ledit palais, avec en prime une superbe vue de Florence au XVIe siècle ! Bien sûr, je suis passé dix fois devant ce fichu palais, sis tout près du quai en question, au 4 du borgo San Frediano, sur le chemin de la chapelle Brancacci, où s’admirent les illustrissimes fresques de Masaccio ! Je n’ai plus qu’à retourner à Florence pour prendre la photo ! Cela me rappelle comment, lors de mon reportage sur Zazie dans le métro, j’avais dû retourner trois ou quatre fois à la tour Eiffel avant d’avoir l’illumination du siècle !
Le Bargello
Si la présence des Strozzi, en particulier de Philippe, est massive, je n’ai trouvé lors de ma visite qu’une seule mention de notre Lorenzo. C’est au splendide Musée national du Bargello, le buste inachevé de Brutus par Michel-Ange, dont la notice indique qu’il s’agit d’une commande célébrant l’assassinat d’Alexandre par Lorenzino, le « nouveau Brutus ». Les photos étaient interdites dans ce musée (c’est amusant de voir comment selon les lieux, les photos sont interdites ou autorisées sans logique), mais pour la science, j’ai risqué la prison ! Je me suis fait engueuler, mais j’ai eu raison. Même si la photo est un peu floue, on en trouve peu sur Internet, et voilà un document historique sur la façon valorisante et virile dont Lorenzo était perçu en 1539, alors qu’il était toujours vivant. Contrepied complet de la version Musset ! On se souvient bien sûr que la pièce contient une bonne dizaine d’occurrences du nom « Brutus », et que cette flatteuse comparaison provient du personnage historique lui-même.
De l’autre côté de l’Arno : San Miniato
L’Arno est à Florence ce que la Seine est à Paris, à ceci près que le fleuve impressionne par son débit et son cours sauvage, domestiqué par deux seuils, dont j’ignore s’ils existaient à l’époque de Musset ou à celle de Lorenzino. J’ai du mal à imaginer au bord d’un fleuve aussi impétueux une scène telle que la scène 6 de l’acte I, où Catherine susurre à Marie : « Le soleil commence à baisser. De larges bandes de pourpre traversent le feuillage, et la grenouille fait sonner sous les roseaux sa petite cloche de cristal. C’est une singulière chose que toutes les harmonies du soir avec le bruit lointain de cette ville » ; par contre, le départ des bannis à la scène 7, avec leurs malédictions à Florence concorde mieux.
En parlant de pompeux palais, le fameux Palais Pitti me semble un must. Il est recommandé par les guides comme incontournable, pourtant je m’y suis ennuyé. Les tableaux y sont entassés et mal éclairés, et le palais lui-même est une prétentieuse choucroute. Si l’on regarde le plan de Florence au XVIe siècle, on comprend l’impression donnée par la pièce que la Basilique San Miniato al Monte est loin de la ville, puisqu’on évoque souvent la foire de Montolivet comme un endroit éloigné [1], alors que maintenant ce n’est qu’une belle balade d’une partie de l’après-midi (à réserver pour le soleil couchant). Le fait que Musset et Sand aient visité Florence à la japonaise au mois de décembre 1833 (entre le 20 et le 28 décembre, il passent de Marseille à Venise en étant passés par Gênes, Livourne, Pise et Florence, d’après la chronologie de l’édition Pléiade) peut expliquer qu’ils n’aient pas poussé la curiosité jusqu’à un endroit qui, à une saison plus clémente, paraît sans doute plus proche. Je ne sais pas à quel village correspond la « vallée, un couvent dans le fond » où Strozzi est censé aller enterrer sa fille à la scène 6 de l’acte IV. J’ai donc longé les rives de l’Arno, là où à la tombée de la nuit, les ragazzi ne font, hélas, que leur jogging, pour me hisser jusqu’à la fameuse basilique. Je suis arrivé vers 17 h, heure propice pour entendre les moines chanter dans la crypte. Je voulais quand même visiter, donc pour ne pas déranger, je me suis glissé sur le côté gauche de l’autel, et c’est là que le hasard m’a fait jeter les yeux sur le scoop du siècle : la stèle véritable de « Luisa Strozzi », fille de « Filippo Strozzi ». Je lui avais bien dit, à Agnès, que je lui ramènerais un scoop ! Bon, la stèle date de 1861, mais ne peut-on la considérer comme un hommage posthume à la prescience de Musset ? Non ? Allez, je remballe mon scoop ; ce que vous pouvez être rabat-joie ! Pour les intimes, la Basilique San Miniato al Monte se trouve au centre du drame du film Obsession (1976), de Brian de Palma.
En sortant de la Basilique, on redescend les escaliers qui mènent à un perron d’où la vue sur Florence est magnifique. Ce faisant, on passe devant le petit cimetière des Portes Saintes, où est enterré, entre autres personnalités florentines, Carlo Lorenzini, plus connu sous le nom de Carlo Collodi (1826-1890), l’auteur de Pinocchio. Lors d’un devoir sur l’affiche de la mise en scène de Claudia Stavisky en 2010, une élève a eu la bonne idée d’écrire que l’épée devenue nez lui faisait penser à Pinocchio !
C’est à Florence que j’ai entamé la lecture du tome I en Pléiade de l’Histoire de ma vie, de Jacques Casanova, dont la préface nous apprend que Musset et George Sand non seulement ont dévoré l’œuvre qui venait de paraître en français dans l’adaptation édulcorée de Laforgue (Musset en a même publié une critique) mais sont partis sous le coup de leur lecture en voyage en Italie, sur les traces de Casanova. On retrouve d’ailleurs dans ce volume des récits qui ont pu inspirer Musset, par exemple celui-ci où C. achète une fille vierge à sa mère et la bastonne, à la manière d’Alexandre de Médicis dans la scène d’ouverture de la pièce. L’épisode de la figue de Barberine éclaire aussi l’utilisation du mot figuier dans la même scène de l’acte I, scène 1.
En 2014, parution de Complot à Florence, un roman jeunesse de Guy Jimenes (Nathan, 176 p., 5,2 € ; recommandé pour les 5e / 4e). L’action est à Florence, bien après notre Lorenzaccio, à l’époque de Galilée. Il s’agit d’un complot pour perdre le savant auprès du duc de Florence, Cosme II de Médicis à l’époque. Le seul aspect est le fait que le héros est un garçon qui s’habille en fille pour commettre de menus larcins, ce qui le fait recruter par un marchand désireux de perdre Galilée de réputation.
Et voilà ces quelques traces de Musset à Florence. Vous pouvez maintenant retourner à l’article sur Rome & Florence. Et pour ma part, il serait temps que je me sente Les Mains libres !
Voir en ligne : 300 photos de voyage
© altersexualite.com, 2013.
Sauf indication contraire, les photos sont de © Lionel Labosse. Reproduction interdite.
[1] « Ce n’est pas mon métier de suivre les foires ; j’irai cependant à Montolivet par piété. C’est un saint pèlerinage » (I, 2) ; « Devant l’église de Saint-Miniato, à Montolivet. UNE FEMME, à sa voisine. – Retournez-vous ce soir à Florence ? » (I, 5) ; « J’ai peut-être eu tort de me souvenir de […] ce maudit voyage à Montolivet » (II, 5).