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#balancetonvictor : encore un gros cochon à mettre à l’index

Victor pour ces dames, de Michel de Decker

Belfond, 2002, 324 p., 17,6 €

samedi 4 avril 2020, par Lionel Labosse

Après notre lecture potache et altersexuelle d’Hernani, penchons-nous sur l’homme Hugo. Eh oui, comme le montre Michel de Decker, le grand homme était un Casanova, et si c’est l’homme d’une seule femme qui écrivit Hernani, cette pièce est prémonitoire d’une vie amoureuse et sexuelle tant soit plus débauchée. Les frasques sexuelles de Victor Hugo à partir de sa rencontre avec Juliette Drouet en auraient fait un de ces nouveaux proscrits du XXIe siècle pour ces khmèr.e.s-la-pudeur et autres hyènes de garde qui voudraient remplacer tous les artistes de sexe masculin par des boy-scouts. Après Gustave Flaubert dont la correspondance révèle qu’il aurait tâté du jeune « bardache », après André Gide, dont nous avons eu l’honneur d’étudier Les Faux-Monnayeurs, cet éloge de la pédérastie (qu’on appelle aujourd’hui sans distinction « pédophilie »), voici donc proposé à l’étude de nos chères têtes blondes Victor Hugo, ce grand strausskahniseur de soubrettes devant l’Éternel. Cet article se concentrera sur les rapports entre l’écriture, la création & les reprises d’Hernani, et la vie amoureuse & sexuelle de notre Totor national, ainsi que son souvenir de celle de ses parents.

Ce livre publié dans la collection « La vie amoureuse » de Belfond (2002, 324 p., 17,6 €) propose une brève biographie du grand homme concentrée sur sa vie amoureuse & sexuelle. Nous en tirerons les faits importants qui peuvent soit informer certains aspects du texte, soit y faire écho subséquemment. L’on s’étonne d’ailleurs que l’écrivain français le plus célèbre dans le monde n’ait jamais à ma connaissance (et à celle de Wikipédia) fait l’objet d’un « biopic » cinématographique. La seule exception semble être une excellente série TV en 4 épisodes de 52 minutes : Victor Hugo, ennemi d’État (2018) du réalisateur Jean-Marc Moutout, sur une idée de la productrice Iris Bucher, qui se concentre sur la vie de Victor Hugo de la révolution de 1848 au coup d’État du 2 décembre 1851, sujet passionnant. On peut la visionner sur Dailymotion. Une bande dessinée pallie brillamment ce manque, dont nous donnerons trois planches dont une scène osée ci-dessous. Qu’il me soit permis de suggérer à Roman Polanski d’un côté, et à ses lyncheurs & cheuses de l’autre, un concours de biopics similaire à celui que nous eûmes en 2014 à propos d’Yves Saint-Laurent, entre Jalil Lespert et Bertrand Bonello. Comme l’œuvre est en domaine public, il n’y aurait aucune censure… Le livre de Michel de Decker n’est pas scientifique, c’est un récit plaisant et arrangé sans grand sérieux. Il n’y a ni notes ni bibliographie, et les lettres et autres œuvres citées sont intégrées au récit en étant souvent arrangées, réécrites, et placées de façon anachronique. Donc lisez cet article avec méfiance, car certaines affirmations seront infirmées par l’ouvrage plus scientifique de Jean-Marc Hovasse auquel le prochain article est consacré.

Michel de Decker romance la relation de Sophie Trébuchet épouse Hugo avec Victor Fanneau de La Horie à qui Totor doit son prénom et peut-être la vie. Ce général considéré comme conspirationniste et mis à la retraite dès 1803 fut hébergé en secret un peu plus d’un an par Sophie dans une chapelle du jardin du Couvent des Feuillantines (entre 1809 et son arrestation en octobre 1810) où le petit Victor vécut une partie idyllique de son enfance. Il servit de précepteur et de parrain aux enfants Hugo et leur apprit des vers latins, Tacite notamment. Cet hébergement clandestin peut avoir servi d’inspiration à celui d’Hernani dans le château de Don Ruy Gomez à la barbe du jeune roi à l’acte III. La Horie fut exécuté en octobre 1812, ce qui mit fin brusquement à cette partie de l’enfance de Victor Hugo. Les époux Hugo ne s’entendaient guère avant même la naissance de Victor. Joseph Léopold Sigisbert Hugo, surnommé Brutus, « reprochait sans cesse à son épouse de n’être pas assez ardente au déduit » (p. 17), et elle se plaignait de n’avoir vécu dans les premiers temps du mariage qu’en état de grossesse, et qu’il « sentait la catin ». Selon une lettre de Léopold, Victor aurait été conçu lors d’un voyage en diligence entre Lunéville et Besançon, sur le mont Donon, un sommet des Vosges, où d’ailleurs on peut déchiffrer cette plaisante plaque commémorative (photo empruntée au site du club vosgien de Colmar) dont Jean-Marc Hovasse nous dira ce qu’il faut penser :

Plaque commémorant la prétendue conception de Victor Hugo au mont Donon.
© club-vosgien-colmar.fr

Léopold cependant, séparé de son épouse, se plaint, et prétend ne prendre de concubine que parce que Sophie se refuse. De nombreuses lettres fort bien troussées sont citées : « Rappelle-toi quelquefois, Sophie, que rien ne peut me consoler de ton absence ; que j’ai un ver rongeur qui me mine, le désir de te posséder ; que je suis dans l’âge où les passions ont le plus de vivacité et que ce n’est pas sans murmurer contre toi que je ressens les besoins de te serrer contre mon cœur » (p. 22). Selon le biographe, tandis que Sophie couche avec La Horie, Léopold entame une relation avec « la grassouillette Catherine Thomas, dont il ne tardera pas à faire sa maîtresse officielle » (p. 23). Elle décide de ne plus coucher avec ce Brutus, lors d’un voyage en Italie avec les enfants où elle le retrouve brièvement. Mais en 1812, à la mort de La Horie, elle entreprend malgré le danger de rejoindre son mari à Madrid. Les visions d’horreur qui se présentent au petit Victor âgé de 10 ans sur le chemin ne sont sans doute pas étrangères à l’inspiration du bandit Hernani et du décor espagnol pour cette pièce tragique : « ici, un jeune homme avait été découpé en morceaux et le puzzle ahurissant savamment recomposé ». Au retour à Paris, le jeune homme fait, selon la légende qu’il exposera indirectement dans Les Misérables ou dans tel ou tel poème, son éducation sentimentale en regardant les statues :
« Parfois j’étais obscène à force d’innocence.
Mon regard violait la vague nudité
Des déesses, debout sous les feuilles l’été ;
Je contemplais de loin ces rondeurs peu vêtues,
Et j’étais amoureux de toutes les statues. »
C’est alors qu’il a 17 ans que Victor, logé rue des Petits-Augustins, au gré d’un des innombrables déménagements de sa vie, dans les vestiges d’un ancien couvent (encore !), commence à courtiser fermement Adèle Foucher, malgré l’opposition de leurs parents. Elle est « la fille d’un modeste fonctionnaire au Conseil de guerre » (p. 48). Il envisage de l’épouser secrètement : « Ils auraient ainsi une merveilleuse nuit de noces et… il se tuerait le lendemain » (p. 49). Cet extrait d’une lettre conservée du jeune homme préfigure l’acte V de Hernani. Mais rien de cela n’arriva, « et il resta longtemps puceau », ce qui ne l’empêche pas d’être d’une jalousie maladive, faisant par exemple une scène à Adèle parce qu’elle relève trop son ourlet pour ne pas être crottée (p. 50). Malgré le désintérêt complet de ses deux parents pour la religion, Victor est obsédé du pucelage, et il « s’était juré de ne déflorer les lèvres d’Adèle que lors de leur nuit de noces » (p. 55). Le mariage a lieu le 12 octobre 1822, un an après la mort de Sophie. Adèle est non seulement déflorée, mais doit subir à 9 reprises les assauts de son mari selon une légende dont nous verrons l’origine. Aujourd’hui on appellerait cela « viol conjugal ». Citation du maître, non référencée comme toujours dans ce livre : « L’homme a reçu de la nature une clef avec laquelle il remonte sa femme toutes les vingt-quatre heures » (p. 73).

La vie de Victor Hugo en bandes dessinées, Liliane Bourgeois & Alfred Morera, Daniel Briand / Robert Laffont, 1985.
© Daniel Briand / Robert Laffont

Bientôt Sainte-Beuve, surnommé « Sainte-Bave » par Hugo, osera se rapprocher de l’épouse malheureuse et souvent délaissée par son jeune mari qui court les honneurs. Sainte-Bave déménage d’année en année pour suivre à la trace les déménagements des Hugo. Il est timide auprès du beau sexe car atteint d’hypospadias. Avant de céder aux avances d’Adèle, Sainte-Beuve, qui est d’abord l’ami de Hugo, se confie à lui dès 1829, mais Victor se croit invincible et lui confirme son amitié jusqu’à la naissance d’Adèle fille, après Hernani. Sainte-Beuve et Adèle mère résistent, mais finissent par céder. La chronologie de Michel de Decker est confuse, et laisse croire qu’à cette époque Victor commence aussi par tromper Adèle avec… Julie Duvidal, avant qu’elle n’épouse son grand frère Abel ! C’est précisément le 2 janvier 1833, devant le théâtre de la Porte-Saint-Martin, qu’il rencontre Juliette Drouet née Gauvain, qui allait devenir pour 50 ans, jusqu’à sa mort en 1883, comme une seconde épouse à la musulmane. Ils passent à l’acte chez celle qui à l’époque était une sorte de courtisane plutôt qu’une actrice, la veille du mardi gras, où ils passent la nuit ensemble, le 16 février. Voici un extrait de la bande dessinée La vie de Victor Hugo en bandes dessinées de Liliane Bourgeois (texte) et Alfred Morera (dessin) paru chez Daniel Briand / Robert Laffont (coll. Une vie, une œuvre) en 1985, d’une liberté de ton étonnante s’agissant d’une œuvre publiée dans une collection qu’on devine pouvoir viser notamment les bibliothèques jeunesse et CDI, au risque d’entraîner une crise cardiaque chez un parent un peu vieux jeu qui aurait acheté les yeux fermés une hagiographie du grand homme ! 333 mercis à Bernard Joubert, qui nous a communiqué ce document exceptionnel, dont la couverture est déjà tout un programme… Voyez ci-dessous. Ci-dessus, c’était le mariage avec Adèle, un peu moins trivial que ce que nous apprend Michel de Decker…

La vie de Victor Hugo en bandes dessinées, Liliane Bourgeois & Alfred Morera, Daniel Briand / Robert Laffont, 1985.
© Daniel Briand / Robert Laffont

Les innombrables lettres des deux amants sont, du moins au début, à classer X. Le biographe donne un exemple : « Aussi Dieu sait quel appétit j’avais de vous. Je vous aurais avalé comme une cerise si vous n’aviez pas eu de queue ». Réponse de Totor : « Ze ne sais pas si zai une queue mais ze ne veux pas qu’on me la coupe ! » (p. 97).
Très vite vient la satiété du côté du grand homme, alors qu’elle est insatiable, et se plaint de l’abstinence qu’il lui impose en excipant de ses préoccupations mondaines (p. 107). Ce premier pas franchi, Victor Hugo le fiancé puceau, le mari queutard et irrassasié, se métamorphose jusqu’à sa mort en un fouteur impénitent. En 1836, il se tape Julie, la sœur d’Adèle âgée de 14 ans, ce qui fait à l’auteur employer le mot fatal : « le beau Victor de ces dames fut un pédophile » (p. 109). Rassurez-vous, la petite succombera à nouveau aux charmes de son beau-frère en visite à Guernesey en 1862. Ce serait aujourd’hui, elle aurait pu écrire un livre, faire condamner son beau-frère, passer à la télé et faire carrière, et nous ne saurions plus qui aurait été Victor Hugo. Ces incartades n’empêchent pas Totor d’être qualifié de « bigame prodigieusement habile et savamment organisé » (p. 113), naviguant à vue entre ses deux femmes tout en menant la barque de sa vie publique. Dès le début, Victor réserve à Juliette le privilège d’un voyage annuel, au cours duquel elle doit cependant accepter qu’il « puisse rédiger son interminable courrier quotidien pour Adèle » (p. 115). En 1837 en Belgique, Hugo s’émerveille de la nouveauté du chemin de fer sur lequel il écrit une lettre sublime mentionnée dans Paysages en mouvement de Marc Desportes.
Passons des épisodes pour faire un point en l’année 1849, où Victor cumule pas moins de 8 liaisons simultanées, que ce soit celle désormais abstinente avec sa légitime, celle de plus en plus chaste avec Juliette, la liaison scandaleuse avec Léonie d’Aunet épouse Biard, qui fut emprisonnée suite à un délit d’adultère constaté à la demande du mari, d’où Victor échappa en arguant de son statut de Pair ; femme qu’il soutiendra financièrement et moralement jusqu’à son décès ; Alice Ozy, qu’il souffle à son fils Charles (avec succès selon le biographe, p. 161, contrairement à ce qu’affirme l’article de Wikipédia) ; Esther Guimont, qu’il pique à Émile de Girardin, « une certaine Lisa », une « Mme Bouclier, la jeune épouse sans défense d’un notaire », plus « Camille Maistre, l’ancienne femme de Pleyel, tout comme Mme Charles Didier » (p. 162). Nous voilà bien à 8, non ? Voici une planche de la bande dessinée Victor Hugo (2014) de Bernard Swysen, Joker éditions, qui immortalise la scène du flagrant délit. Cette BD est plus pudique sur certains aspects, comme les orgies de la Conciergerie, alors qu’il fait mention de Proudhon, qui en fut le témoin scandalisé, juste pour un avis politique donné à Hugo. Elle ne cache pas cependant les exploits du vieux satyre (cf. ci-dessous). Et c’est encore un document qui vaut un millième et dernier merci à Bernard Joubert !

Victor Hugo (2014) de Bernard Swysen, Joker éditions.
© Joker éditions.

Léonie ne supporte plus d’être partagée avec « la vieille », c’est-à-dire Juliette, et lui envoie un paquet des lettres de son Totor à elle, identiques à celles qu’il lui envoyait des années auparavant, augmentées d’un sympathique poulet : « Il vous appartient de briser des liens dont le poète est las et qu’il traîne plutôt qu’il ne les porte » (p. 172). En 1848, ça chauffe et Juliette protège son poète-pair : « Rien ne m’agace plus que ces émeutes parmi lesquelles tu as la manie d’aller te fourrer… tu ferais mieux d’assister plus régulièrement aux séances de ma chambre !… Tu verrais que les républicains n’ont rien à m’apprendre… Je veux que tu me baises à mort, ça n’est pas bien malin il me semble » (p. 168). L’auteur reformule le verbatim que l’on peut trouver ici. Juliette ne tutoyait point, mais elle causait cash. En 1851, Victor Polanski. Pardon, Victor Hugo, accueillait chez lui une jeune femme mineure (à cette époque la majorité était à 25 ans), admiratrice qui depuis plusieurs années lui envoyait ses poèmes. Il lui fait (sans le savoir) un enfant qu’elle prénommera « Victorine » (p. 176). En clair, il la viole selon la définition actuelle de ce crime (« par surprise »). Cette jeune victime s’appelait Louise Michel (1830-1905). Sans ce jour funeste, nul doute qu’elle eût connu une vie exaltante, heureuse, et eût terminé au Panthéon ! #balancetonvictor
Dans sa première étape d’exil à Bruxelles, Hugo est accompagné de Juliette, qu’il cache et à qui il confie ses chaussettes à repriser et Napoléon le Petit à mettre au net. Il ne peut se montrer avec elle, car « la ville grouillait d’exilés qui le saluaient à chaque coin de rue » (p. 179). Léonie projette de le rejoindre, ce qui serait le bouquet. Malgré son envie d’elle, Victor est obligé de recourir à… Adèle : « on a sous les yeux un mari qui demande à son épouse légitime d’aller expliquer à sa deuxième maîtresse qu’il ne peut s’occuper d’elle dans l’immédiat parce qu’il a trop à faire avec la première ! » (p. 181). Nous voici donc dans la polygamie à la musulmane, avec 3 épouses ! Étrange écho au « Tres para una » d’Hernani, où c’était Doña Sol qui devait se partager entre trois hommes… à ceci près que le fait qu’Adèle soit aussi infidèle que son époux, et que les deux autres ne fussent point des oies blanches, fait plutôt penser à un exemple avant la lettre de polyamour, ou plutôt de ce que votre serviteur a appelé « contrat universel ».
C’est à 50 ans révolus et à Jersey, que semble commencer la longue série des fameuses amours ancillaires de Victor Hugo, avec une blanchisseuse anglo-normande. À Guernesey, cela tournera à l’érotomanie obsessionnelle, et le grand homme prend l’habitude de consigner dans des carnets secrets rédigés dans un sabir d’espéranto et d’abréviations que les chercheurs ont décodé, ses plans cul avec les tarifs des largesses accordées aux bonnes. Voir cette émission de France Inter. L’auteur donne quelques exemples de tarifs : une domestique payée « 6 francs de gages la semaine à la cuisinière et 4 à la femme de chambre » recevait entre 1 et 5 francs pour un rapport sexuel selon l’étendue de ce qu’elle lui accordait. Il y a des tarifs à 1, à 3 et à 5 francs ; l’auteur nous laisse imaginer à peu près pour quoi ou qu’est-ce. Victor s’attache quand même à ces jeunes femmes, et l’on mentionne une Cœlina qui le quitte parce qu’elle est malade, et avec qui il échange des lettres jusqu’à son décès ; d’autres à qui il finance le médecin pour un enfant malade, etc., sans compter une perpétuelle générosité du poète en dehors de toutes frasques sexuelles. On peut par exemple feuilleter sur Gallica les carnets de Victor Hugo où il notait ses dépenses, des coupures de presse, des lettres en fatras. Dans ce carnet de 1869, voici au hasard une lettre de remerciement pour un chèque de cent francs. Dans À la page 220 l’auteur cite un long poème leste soi-disant composé par Hugo à Guernesey, dont Google Livres ne donne qu’une occurrence dans une anthologie intitulée L’Éternel cotillon parue en 1907 aux éditions Michaud, mais aucun apparat critique ne permet de s’assurer de l’authenticité du poème.
De retour d’exil, Totor ne mollit pas, et Sarah Bernhardt, grande croqueuse d’hommes, figure à son palmarès en 1872. Il a 70 ans, elle en a 28 et triomphe dans Ruy Blas, puis dans Hernani, dernier rebondissement de la rivalité entre Don Ruy Gomez et Hernani, qui fait écrire à Juliette jalouse, selon notre biographe :
« Ruy Gomez a de tendres heures,
Près des femmes, c’est un coquin :
Souvent, derrière Charles Quint
Il dit : « J’en pince, et des meilleures ! »
Si le quatrain est avéré, cité dans cet article de Florence Naugrette, il est rédigé dans une lettre du 12 juillet 1874 et non griffonné sur un « papier froissé » comme le prétend Michel de Decker, qui ajoute que Sarah s’est à un moment crue « enceinte de Victor Hugo », mais que celui-ci finit par noter sur un de ses carnets : « no sera el chico hecho (l’enfant ne sera pas fait) » (p. 270). Après Sarah, Victor a une liaison durable (du râble !) avec Judith Gautier (née en 1845), fille de Théophile et épouse divorcée de Catulle Mendès. Cela dure jusqu’en 1883, 80 ans sonnés. La jeune femme mettra d’ailleurs également à son palmarès… Richard Wagner !
Les vers coquins cités p. 277 sont authentiques, mais datent de vingt ans auparavant ; cependant selon la biographe Annette Rosa, je cite : « les années qui suivent son retour à Paris nous le montrent assailli par de « jeunes tentations » auxquelles il ne résiste pas. Actrices en quête de rôle – Hugo est à l’affiche ! — femmes du monde et du peuple, se pressent autour de cet homme, à qui sa gloire et sa tête neigeuse donnent un air irrésistible de dieu olympien. » Et voilà, après Polanski et Matzneff, que notre Hugo se Harveyweinstanise ! Satyre !
« Prendre une jeune au lieu de la vieille qu’on a !…
Manger de la chair fraîche avec du bon pain tendre,
Au lieu de chair salée avec du vieux biscuit !
Ô fascination dont la splendeur me luit !
Je romps avec la vieille. Il faut que je m’en aille !
Je sens que je vais être une horrible canaille ! »
Depuis 1873 aussi, et jusqu’en 1880, il y eut la jeune Blanche Lanvin, qu’il aima « à la barbe » de Juliette, pour paraphraser Don Carlos, et qui lui coûta plus cher que ses bonnes (« Je lui ai déjà donné 1700 F. », p. 284). Voici une planche de la bande dessinée de Bernard Swysen, qui évoque les frasques du vieux satyre.

Victor Hugo (2014) de Bernard Swysen, Joker éditions.
© Joker éditions.

Hugo fréquenta aussi les bordels, où il aurait pu croiser Maupassant et Flaubert (je note cette idée pour Polanski, au cas où il se mettrait au boulot pour le biopic !) Michel de Decker nous apprend les tarifs et les performances de notre sénateur : « Vingt francs, oui, c’est la somme qui figure systématiquement entre parenthèses après les croix (+) qu’il continue de tracer dans ses agendas indécents. Vingt-six croix pour 1881, et trente pour les neuf premiers mois de l’année suivante. Avec l’exploit du 2 janvier 1882 ! Car ce jour-là, plus vigoureux que jamais, le vieux Priape alignera quatre fois le symbole de la victoire ! Le tout pour 80 francs, soit quelque 1600 francs d’aujourd’hui » (p. 300). Pour terminer, le biographe évoque toutes les soubrettes qui ont sans doute « quitté Hauteville House en catastrophe, le sac garni de quelques billets de banque, prétextant qu’elles étaient grosses des œuvres de leur mari alors que le pauvre garçon vivait sur le continent » (p. 321). Quel pourcentage de la population française recèle dans son ADN quelques gènes de l’auteur d’Hernani ?

La vie de Victor Hugo en bandes dessinées, Liliane Bourgeois & Alfred Morera, Daniel Briand / Robert Laffont, 1985.
© Daniel Briand / Robert Laffont

En (duc de) guise de conclusion

Et voilà pour notre gloire nationale et son pavé dans la mare romantique. « Un poète ça sent des pieds. On lave pas la poésie » chantait Léo Ferré (« Le Chien »). J’ai conçu ces 3 articles pendant que les lyncheurs khmèr.e.s-la-pudeur et hyènes de garde s’acharnaient sur un Polanski lors de la cérémonie des Césars 2020. Tandis qu’ils & elles laissaient adouber sans renifler un Ladj Ly dont le passé révèle une attitude pas si cool à l’égard de la liberté sexuelle des femmes, ils bavent leur fiel sur un des derniers grands maîtres du cinéma au nom d’accusations qui ne tiennent pas la route, mais qu’aucun d’entre ces nouveaux khmers rouges ne prend le temps d’examiner en détail, alors qu’ils se gardent bien au contraire de stigmatiser un héros des minorités qui filma un caillassage de flics et participa à un règlement de compte contre une sœur qui eut le tort de coucher. Ainsi va le monde. Et comme dans l’affaire de la diffamatrice Sandra Muller, Macron s’empresse d’agiter l’encensoir élyséen sur le zélateur des crimes d’honneur et du caillassage de flics. La négation des règles de base de la justice, présomption d’innocence, prescription ou non-rétroactivité des lois, est au cœur du terrorisme actuel de ces hyènes de garde, qui mettent en place d’autre part une véritable curée au vieillard Matzneff. Les médias nous proposent un palpitant snuff-movie (bientôt filmé par Ladj Ly sous les hourras de ces féministes de la misandrie) avec comme héros ce pauvre bougre qui ne cacha jamais sa pédophilie et qui eut sans doute pour livres de chevet quand il avait l’âge de ses victimes, les œuvres d’André Gide à l’époque plus grand écrivain français vivant. Ils sont les premiers à verser des larmes sur l’enfance malheureuse des djihadistes, mais n’ont pas la moindre excuse pour l’enfance forcément heureuse d’un Polanski. Matzneff avait onze ans quand le grand écrivain pédéraste reçut le prix Nobel. Si l’on applique comme c’est devenu la mode, une justice rétroactive, alors toutes les œuvres de Victor Hugo, pédophile et violeur, doivent êtres supprimées des bibliothèques. Au profit de celles de Barbara Cartland, que je suggère aussi d’inscrire au programme de Première. Puisque Blanquer a instauré un programme obligatoire, autant en profiter pour imposer des œuvres de haute valeur morale et empêcher les enseignants de lettres de choisir des œuvres d’auteurs sexuellement suspects. Il faut donc conseiller d’extrême urgence au maire qui a fait retirer des bibliothèques de sa ville les livres de Gabriel Matzneff, de jeter au même bûcher celles de Victor Hugo, de Flaubert, de Casanova ou de Gide, et de rebaptiser l’avenue Victor-Hugo que sa ville ne doit pas manquer de compter « avenue Greta Thunberg ». Nous vivons une époque formidable !

 Le site Terres d’écrivains recense tous les appartements où Hugo vécut à Paris et ailleurs.
 Consulter le site de l’édition scientifique des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo.
 Revenez à l’article précédent consacré à Hernani.
 Passez à notre lecture de Victor Hugo. Tome I. Avant l’exil., de Jean-Marc Hovasse.
 Lire nos autres articles sur les œuvres de Victor Hugo : Claude Gueux, Les Travailleurs de la mer et L’Homme qui rit.
 Voici la liste des quatre bandes dessinées biographiques sur Victor Hugo que nous avons recensées grâce à Bernard Joubert :
 Victor Hugo en B. D., de Daniel & Hélène Martha (texte) & Pierre Frisano (dessin), Larousse, 1985.
 La vie de Victor Hugo en bandes dessinées, de Liliane Bourgeois (texte) & Alfred Morera (dessin) paru chez Daniel Briand / Robert Laffont (coll. Une vie, une œuvre), 1985
 Victor Hugo, Aux frontières de l’exil, d’Esther Gil (scénario) & Laurent Paturaud (dessins), Daniel Maghen, 2013
 Victor Hugo, de Bernard Swysen (scénario, dessins et couleurs), 2014, Joker éditions.

 Pour l’étude de l’œuvre en Terminale littéraire, la référence c’est bien sûr Lettres volées.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Site de l’édition scientifique des lettres de Juliette Drouet à son Totor d’amour


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Retrouvez l’ensemble des critiques littéraires jeunesse & des critiques littéraires et cinéma adultes d’altersexualite.com. Voir aussi Déontologie critique.