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Retour nécessaire sur les années sida, pour les 3e
Pedro et moi, de Judd Winick
Çà & Là, 2000, 189 p., 23 €.
lundi 30 avril 2007
Un retour nécessaire sur les années sida, aux États-Unis. L’interaction entre la maladie, l’homosexualité et les facteurs sociaux (origines cubaines et exil de Pedro) donne un éclairage particulier à l’œuvre, qui intéressera également nos élèves grâce à l’évocation des coulisses d’une émission de télé-réalité, ou tout simplement pour l’évocation du deuil, que ce soit celui de l’auteur, ou celui d’une petite fille rencontrée dans un collège. Traduit de l’anglais par Sidonie Van den Dries et publié en France en 2006.
Résumé
Judd Winick, célèbre dessinateur de B.D., revient six ans en arrière sur une période de sa vie qui lui a valu sa notoriété. Alors qu’il vivotait de son art, il avait été choisi pour une émission de télé-réalité à San Francisco. Sept personnes partageaient un appartement, parmi lesquelles Pedro Zamora, jeune Cubain malade du sida qui consacrait toute son énergie à la prévention. Judd partage sa chambre avec Pedro, et devient vite ami avec lui. Il partage les affres de la maladie. L’un des « colocataires » manifeste son homophobie, mais Judd fait aussi connaissance de Pam, sa future femme. C’est au chevet de leur ami qu’ils développent des sentiments réciproques. L’ouvrage est divisé en plusieurs parties. Deux sont consacrées aux origines de Judd et de Pedro. Judd raconte par exemple une séance scolaire lorsqu’il était en seconde, où un prof avait marqué « Je suis gay » au tableau, avant de dire qu’il s’agissait d’un mensonge pédagogique. Il évoque les stéréotypes dont il était imprégné relativement au sida, les images de malades qui le faisaient penser à Auschwitz, les téléfilms désincarnés, etc. Pedro a suivi ses parents dans l’exil, lors de l’exode de Mariel, de la même façon donc que Reinaldo Arenas, dont il n’est pourtant pas question dans cet ouvrage (lire absolument son roman autobiographique Avant la nuit). Il a commencé sa sexualité à l’âge de 13 ans, après le décès de sa mère. Son père le fait suivre, découvre qu’il est homo, et réagit plutôt bien, mais « personne ne lui a jamais conseillé de se protéger » (p. 51). Il découvre qu’il est séropositif à 17 ans, met sa famille au courant et se consacre totalement à ses études. Dès l’âge de 18 ans, il est amené à témoigner ouvertement dans son lycée au titre de la prévention. Les deux chapitres principaux relatent la cohabitation de ces jeunes gens représentatifs de la diversité humaine, puis l’agonie et la mort de Pedro. Pedro avait pour but de montrer « la vie quotidienne d’un homosexuel basané et séropositif » (p. 119). Il contracte une maladie assez rare, qui lui fait perdre ses facultés intellectuelles, notamment l’usage de la parole. Le président Clinton l’appelle et le félicite de son combat ; il lui permet d’obtenir la venue du reste de sa famille de Cuba (ce qui explique peut-être le silence sur l’existence de Reinaldo Arenas). Avant et après la mort de Pedro (à l’âge de 22 ans), Judd le remplace pour des interventions scolaires, que ce soit en fac (« Vous n’avez qu’à assaisonner leurs hormones d’une pointe de Q.I. », p. 169) ou devant des élèves de 5e.
Mon avis
Pedro et moi est un excellent ouvrage, fort utile depuis que L’Avenir perdu, d’Annie Goetzinger et Jonsson, Knigge est épuisé (Quel éditeur intelligent le reprendra ?). Les six années écoulées entre les faits et l’œuvre, auxquelles s’ajoutent les six années supplémentaires pour la traduction en français, ont sans doute permis le recul nécessaire pour traiter ces souvenirs émouvants. Cette tragédie de l’apparition du sida paraît souvent fort éloignée des préoccupations des jeunes actuels. Cet album permet de la replacer dans l’histoire du XXe siècle, notamment avec l’élément adventice de l’exil cubain. Comme souvent pour les ouvrages traitant du sida, la question de la prophylaxie est problématique. On pourra s’étonner du naturel avec lequel l’auteur personnage croit nécessaire de vilipender « les profs les plus conservateurs » qui « ont commencé à se tortiller quand j’ai abordé le sujet de la masturbation mutuelle et des digues dentaires » (p. 169). De même, on comparera le conseil selon lequel embrasser serait sans risque (p. 78) ; avec celui selon lequel il faudrait utiliser du scellofrais pour le cunnilingus (p. 105). Le discours moralisateur du jeune Cubain est relayé : « Vous n’avez pas besoin de faire l’amour pour vous sentir estimables », malgré les dénégations : « Ce n’était ni un dilemme moral, ni un débat religieux » (p. 108). Bref, il conviendra de ne pas prendre cette œuvre comme un documentaire, mais d’interpréter le discours des personnages en fonction de leur psychologie.
– Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».
© altersexualite.com 2007
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