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« L’humanité est mâle et l’homme définit la femme non en soi mais relativement à lui », pour lycéens et éducateurs

Le Deuxième sexe, de Simone de Beauvoir, Tome 1 « Les faits et les mythes »

Gallimard, Folio essais, 1949, 410 p., 9,1 €

mercredi 13 janvier 2010

Voici encore un ouvrage fondamental que j’avais gardé pour la bonne bouche. Ayant raté le cinquantenaire de sa publication, il n’est pas trop tard pour les soixante ans fêtés en 2009. Sur la fortune critique, lire l’article de Sylvie Chaperon pour Le Monde diplomatique, publié à l’occasion du cinquantenaire. La bave des crapauds machos n’atteignit pas la blanche colombe. Le pavé en deux tomes est cité par quasiment tous les livres féministes que j’ai eu l’occasion de chroniquer ; ne me restait qu’à remonter à la source. Voici d’abord un article sur le Tome 1, « Les faits et les mythes ». La partie la plus épistémologique de la somme, pour employer les grands mots. Ce tome est divisé en trois parties, « Destin », « Histoire » et « Mythes ». Ce dernier texte, ainsi que de nombreux passages m’ont par ricochet permis de mieux comprendre le mythe de Don Juan, que pourtant j’avais déjà pas mal étudié, et ce alors que au moins dans ce 1er tome, il n’y est fait aucune allusion directement ! Je tâcherai donc dans cet article, plutôt que de fournir une critique de cet essai philosophique ce dont je serais bien incapable vu mes lacunes en philo, de signaler quelques passages qui m’ont davantage intéressé, et des extraits utilisables en lycée dans le cadre du français (pour la philo, je suis incompétent). Une critique évidente pour l’éditeur en Folio, c’est de n’avoir assorti le livre d’aucun glossaire, ne fût-ce que pour les nombreux auteurs ou personnalités cités.

Si l’on veut résumer la thèse défendue par la philosophe, une phrase vers la fin convient bien : « Chacun n’est sujet que pour soi ; chacun ne peut saisir dans son immanence que soi seul : de ce point de vue l’autre est toujours mystère. Aux yeux des hommes l’opacité du pour-soi est plus flagrante chez l’autre féminin ; ils ne peuvent par aucun effet de sympathie pénétrer son expérience singulière : la qualité du plaisir érotique de la femme, les malaises de la menstruation, les douleurs de l’accouchement, ils sont condamnés à les ignorer. En vérité, il y a réciprocité du mystère : en tant qu’autre, et qu’autre de sexe masculin, il y a aussi au cœur de tout homme une présence fermée sur soi et impénétrable à la femme ; elle ignore ce qu’est l’érotisme du mâle » (p. 399). Le point de vue masculin est toujours imposé comme absolu, et de ce fait, la réciprocité est niée, et « la femme est regardée comme mystère en soi », alors que « Un existant n’est rien d’autre que ce qu’il fait ; le possible ne déborde pas le réel, l’essence ne précède pas l’existence : dans sa pure subjectivité, l’être humain n’est rien » (p. 401).

Introduction

 extrait de l’introduction expliquant l’asymétrie de l’altérité homme / femme : « C’est d’une manière formelle, sur les registres des mairies et dans les déclarations d’identité que les rubriques : masculin, féminin, apparaissent comme symétriques. » jusqu’à « L’humanité est mâle et l’homme définit la femme non en soi mais relativement à lui ; elle n’est pas considérée comme un être autonome » (pp. 16 à 17).
 prolongement de cette réflexion sur la notion d’altérité, utile pour la question « Être autre » en classe de seconde : « La catégorie de l’Autre est aussi originelle que la conscience elle-même. » jusqu’à « Mais pour que le retournement de l’Autre à l’Un ne s’opère pas, il faut qu’il se soumette à ce point de vue étranger. D’où vient en la femme cette soumission ? » (pp18 à 20). Ce passage contient le mot « mitsein », donné sans explication, concept emprunté à Heidegger signifiant « être-avec », et qui sera souvent repris dans l’essai [1].
 Beauvoir complète sa thèse en montrant que parfois la femme « se complaît dans son rôle d’Autre », car « c’est un chemin facile : on évite ainsi l’angoisse et la tension de l’existence authentiquement assumée » (p. 24).

Destin

 Le chapitre consacré aux données de la biologie est osé, complexe, écrit dans une langue poétique et imagée. La première page constitue un bon extrait à utiliser en classe : « La femme ? c’est bien simple, disent les amateurs de formules simples : elle est une matrice, un ovaire ; elle est une femelle : ce mot suffit à la définir » (p. 37). Plus loin, on trouvera développée la conception Schopenhauerienne : « Ni chez les fourmis, les abeilles, les termites, ni chez l’araignée ou la mante religieuse on ne peut dire que la femelle asservit et dévore le mâle : c’est l’espèce qui par des voies différentes les dévore tous deux » (p. 56). Sans tenter d’édulcorer, et en témoignant d’une connaissance approfondie de la question, Beauvoir explique en quoi ces données biologiques informent la situation de la femme : « Sa domination s’exprime par la posture du coït : chez presque tous les animaux le mâle est sur la femelle » (p. 59). Elle montre que la responsabilité de la reproduction de l’espèce affaiblit la femme : « ce n’est pas sans résistance que le corps de la femme laisse l’espèce s’installer en elle » (p. 65). Un long extrait pp. 66 à 70 décrit le cycle menstruel en ce qu’il « donne au corps féminin une inquiétante fragilité ». Elle ne craint pas de préciser que ces données expliquent que les femmes soient « sujettes aux manifestations convulsives : larmes, fou rire, crises de nerfs » (p. 72).
 Le chapitre consacré à la psychanalyse est très critique vis-à-vis de Freud. Il contient sans doute une des premières mentions des « deux systèmes érotiques distincts : l’un clitoridien qui se développe au stade infantile et l’autre vaginal qui ne s’épanouit qu’après la puberté » (p. 82). Beauvoir résume les données freudiennes, et comme pour la biologie, n’a pas peur d’énoncer des observations qui peuvent indisposer les féministes : « il faudrait considérer comme une donnée originale cette sorte d’appel à la fois urgent et effrayé qu’est le désir femelle […]. Il est remarquable que beaucoup de femelles animales fuient le coït au moment où elles le sollicitent » (p. 94).
 Le chapitre consacré au matérialisme historique développe la vision de la femme en parallèle avec le prolétaire, là encore sans nier les données incontournables : « on ne saurait sans mauvaise foi considérer la femme uniquement comme une travailleuse ; autant que sa capacité productrice, sa fonction de reproductrice est importante, tant dans l’économie sociale que dans la vie individuelle » (p. 105).

Histoire

 La spécificité de l’espèce humaine explique la prééminence de l’homme : « ce n’est pas en donnant la vie, c’est en risquant sa vie que l’homme s’élève au-dessus de l’animal ; […] la supériorité est accordée non au sexe qui engendre mais à celui qui tue » (p. 115). En de saisissants aperçus, Beauvoir condense l’histoire de l’humanité avant l’Histoire, depuis les temps où l’homme craignant la femme, ignorant le rôle qu’il jouait dans la perpétuation de l’espèce, à celui où, maîtrisant l’outil, il maîtrise la nature et la femme par la même occasion. Par l’agnation — encore un mot que l’auteure ne prend pas la peine d’expliquer —, parenté par les mâles en droit romain, « la mère est ravalée au rang de nourrice, de servante » (p. 134). Un passage dresse un tableau déprimant de la femme musulmane, opposée à la bédouine dont le travail assure la liberté, à partir d’un souvenir de voyage : La Musulmane voilée et enfermée est encore aujourd’hui dans la plupart des couches de la société une sorte d’esclave » (p. 141). Les juifs, les Égyptiens, les Grecs, les Romains sont passés en revue dans leurs mœurs différentes. On relèvera en passant la notion d’épiclérat, cette fois-ci expliquée : en cas de mort d’un homme sans héritier, « l’héritière devait épouser dans le génos paternel son parent le plus âgé […] l’épiclère n’était pas héritière mais seulement une machine à procréer un héritier » (p. 147) [2].
 L’histoire du christianisme et de l’Europe poursuit celle de la soumission de la femme, comme l’exprime le mot « main-bournie », qui désigne la tutelle, la garde du mari (p. 167). La thèse est martelée : « dans le travail libre, la femme conquiert une autonomie concrète parce qu’elle retrouve un rôle économique et social. […] Tandis que la femme riche paie de sa soumission son oisiveté » (p. 168). Cela n’empêche pas que « la plupart du temps le travail rural réduit la femme à la condition de bête de somme » (p. 231). L’auteure déploie une érudition aussi dans le domaine littéraire, et j’ai noté au fil des pages quelques idées de lecture qui alourdissent encore ma table de chevet, occupée pourtant déjà jusqu’à l’âge de ma retraite ! Il y a recul par rapport à l’Antiquité : « Il existe dès l’Antiquité des pratiques anticonceptionnelles, généralement à l’usage des femmes : potions, suppositoires, tampons vaginaux ; mais elles restaient le secret des prostituées et des médecins ; peut-être ce secret fut-il connu de ces Romaines de la décadence à qui les satiristes reprochent leur stérilité. Mais le Moyen Âge les ignora ; on n’en trouve aucune trace jusqu’au XVIIIe siècle. Pour quantité de femmes, la vie était, en ces temps, une suite ininterrompue de grossesses » (p. 204). Hommage est rendu en passant à l’un des premiers livres féministes : La Cité des dames, de Christine de Pizan. Beauvoir se penche sur le monde communiste, pour conclure que « la masse des femmes est en marge de l’histoire, et les circonstances sont pour chacune d’elles un obstacle et non un tremplin » (p. 226). Une note de bas de page regrette en passant qu’à Paris, « sur un millier de statues […] il n’y en ait que dix élevées à des femmes » (p. 227). 60 ans plus tard, certes il existe une passerelle Simone de Beauvoir, mais pas de statue à ma connaissance [3] !
 Les dernières pages de la partie Histoire contiennent une explication inspirée par le matérialisme historique de la persistance de la tentation pour les femmes de s’en remettre au rêve du beau mariage : de « Le fait qui commande la condition actuelle de la femme, c’est la survivance têtue dans la civilisation neuve qui est en train de s’ébaucher des traditions les plus antiques » à « Il nous faut donc la décrire d’abord telle que les hommes la rêvent puisque son être-pour-les-hommes est un des facteurs essentiels de sa condition concrète » (p. 235).

Mythes

 Voici un aperçu saisissant du travail de Beauvoir : « L’hésitation du mâle entre la peur et le désir, entre la crainte d’être possédé par des forces incontrôlables et la volonté de les capter se reflète d’une manière saisissante dans les mythes de la Virginité. Tantôt redoutée par le mâle, tantôt souhaitée ou même exigée, elle apparaît comme la forme la plus achevée du mystère féminin ; elle en est donc l’aspect le plus inquiétant et le plus fascinant à la fois. Selon que l’homme se sent écrasé par les puissances qui le cernent ou qu’il se croit orgueilleusement capable de les annexer, il refuse ou réclame que son épouse lui soit livrée vierge. Dans les sociétés les plus primitives, où le pouvoir de la femme est exalté, c’est la crainte qui l’emporte ; il convient que la femme ait été déflorée avant la nuit de noces. […] Certains peuples s’imaginent qu’il y a dans le vagin un serpent qui mordrait l’époux au moment de la rupture de l’hymen ; on accorde de terrifiantes vertus au sang virginal, apparenté au sang menstruel et susceptible lui aussi de ruiner la vigueur du mâle » (p. 259). On retrouve cette tradition dans le mythe de Gilgamesh. Beauvoir évoque aussi le rite fréquent « qui consiste à livrer les vierges à des étrangers de passage » (p. 260). Le thème est repris plus loin : « la matrice, cet antre chaud paisible et sûr, devient poulpe humeux, plante carnivore, un abîme de ténèbres convulsives ; un serpent l’habite qui engloutit insatiablement les forces du mâle » (p. 312).
Quand elle ironise sur l’animisme romantique des hommes qui associent la femme à tout élément de la nature, Beauvoir se permet une extrapolation discutable : « Parfois c’est sur le corps des jeunes garçons que l’homme recherche le sable des plages, le velouté des nuits, l’odeur des chèvrefeuilles » (p. 264) ; elle ne fera d’ailleurs pas d’autre allusion à la pédophilie dans ce tome en dehors de cette phrase ! La phrase « On aboutit donc à cet étrange paradoxe que, souhaitant saisir dans la femme la nature, mais transfigurée, l’homme voue la femme à l’artifice. Elle n’est pas physis seulement mais tout autant antiphysis ; et cela non seulement dans la civilisation des permanentes électriques, de l’épilation à la cire, des guêpières de latex, mais aussi au pays des négresses à plateaux, en Chine et partout sur la terre » (p. 268) nous rappelle ce que dira Jean-Didier Urbain des plages et de la pilosité.
 C’est encore dans cette partie que, bien que le mythe de Don Juan ne soit jamais nommé, Beauvoir reprend une idée Schopenhauerienne qui s’applique parfaitement à ce mythe. On peut extraire un passage des pp. 272 à 276, d’où ressortent quelques citations : « l’éjaculation est promesse de mort, elle affirme l’espèce contre l’individu ; l’existence du sexe et son activité nient la singularité orgueilleuse du sujet » ; « il n’assume orgueilleusement sa sexualité qu’en tant qu’elle est un mode d’appropriation de l’Autre : et ce rêve de possession n’aboutit qu’à un échec » ; « Ève est donnée à Adam pour qu’il accomplisse en elle sa transcendance et elle l’entraîne dans la nuit de l’immanence » ; « Du jour où il naît, l’homme commence à mourir : c’est la vérité qu’incarne la Mère. En procréant, il affirme l’espèce contre lui-même : c’est ce qu’il apprend dans les bras de l’épouse. » Voir aussi p. 307 : « pour avoir désiré une fraîche jeune fille, le mâle doit pendant toute sa vie nourrir une épaisse matrone » ; « C’est que l’érotisme implique une revendication de l’instant contre le temps, de l’individu contre la collectivité ».
 Un sujet auquel je n’avais jamais pensé (moi qui pourtant ai l’esprit tordu !) est abordé : comment le mythe de l’immaculée conception a été étendu à « l’enfantement virginal du Christ », alors qu’on croyait auparavant que « Marie avait accouché dans le sang et l’ordure comme les autres femmes » (p. 280). Beauvoir reprend le thème bien connu de l’invention de Marie comme antithèse d’Ève, au Moyen Âge. (p. 284), mais ajoute que le mythe de la « belle-mère » date aussi du Moyen Âge, et qu’il « permet à ces répugnances de s’exprimer librement » (p. 288). Dans La Mégère apprivoisée, Beauvoir voit également un mythe : « Une matière trop plastique s’abolit par sa docilité ; ce qu’il y a de précieux chez la femme c’est que quelque chose en elle échappe indéfiniment à toute étreinte ; ainsi l’homme est maître d’une réalité qui est d’autant plus digne d’être maîtrisée qu’elle le déborde » (p. 291).
 Beauvoir corrige enfin le mythe d’Œdipe : « il faut que sa mère résume la Nature qui investit tous les individus sans appartenir à aucun ; il hait qu’elle devienne proie, non parce que — comme on le prétend souvent — il veut lui-même la posséder, mais parce qu’il veut qu’elle existe par-delà toute possession : elle ne doit pas avoir les dimensions mesquines de l’épouse ou de la maîtresse » (p. 318).
 Cinq essais littéraires sont consacrés à des écrivains. Cela va d’un pamphlet sur Henry de Montherlant à un éloge de Stendhal. Montherlant est visé par une argumentation étayée par de nombreuses citations de son œuvre (on peut donc dire que Beauvoir se fait une conception labossienne de la critique !), en tant que contempteur des femmes, aussi bien que comme admirateur de l’idéologie nazie notamment dans un texte intitulé Le Solstice de juin (p. 335). On retrouve une analyse qui pourrait aussi bien s’appliquer à Don Juan : « Il s’attache à la femme — ou plutôt il s’attache la femme — non pour jouir d’elle, mais pour jouir de soi : étant absolument inférieure, l’existence de la femme dévoile la substantielle, l’essentielle et indestructible supériorité du mâle : sans risque » (p. 329). Il est étonnant que sur ce sujet, elle ne fasse en ces 20 pages qu’une allusion au goût de Montherlant qui pourtant imprègne forcément ce qu’il peut dire des femmes : « Il est vrai qu’il goûte singulièrement les jouissances insolites : celles qu’on peut tirer des bêtes, des garçons, des fillettes impubères » (p. 338). Cela n’empêchera pas Montherlant d’être élu académicien en 1960 !
D.H. Lawrence est vu comme plus positif avec son « orgueil phallique » ; Paul Claudel instrumentalise quelque peu la femme qu’il révère comme instrument divin pour éprouver l’homme et perpétuer un ordre bourgeois. André Breton voit en la femme un vecteur de poésie et d’érotisme. Seul Stendhal, selon Beauvoir, fait de la femme — dans le cadre du matérialisme historique — « cette conscience autre qui dans la reconnaissance réciproque donne au sujet autre la même vérité qu’elle reçoit de lui » (p. 387) ; « Jamais Stendhal ne se borne à décrire ses héroïnes en fonction de ses héros : il leur donne une destinée propre » (p. 388). Une citation de Jules Laforgue donnée en note p. 406 donne envie d’y voir de plus près : « Avec la femme nous avons jusqu’ici joué à la poupée. Voilà trop longtemps que ça dure !… » ; Beauvoir conclut d’ailleurs ce tome 1 sur une autre citation du poète : « Ö jeunes filles, quand serez- vous nos frères, nos frères intimes sans arrière-pensée d’exploitation ? quand nous donnerons-nous la vraie poignée de main ? »

La problématique altersexuelle

Terminons cette lecture par un point sur la problématique de ce site. Ce premier tome ignore plus ou moins la problématique altersexuelle. Le mythe de Tirésias est évacué dans une phrase qu’on pourra juger légère, sur la question de savoir qui pourrait porter un jugement impartial : « quant à l’hermaphrodite, c’est un cas bien singulier : il n’est pas à la fois homme et femme mais plutôt ni homme ni femme » (p. 31). Plus loin, on relève une formule du même type : « Aucun homme ne consentirait à être une femme, mais tous souhaitent qu’il y ait des femmes » (p. 242). Pourtant le mot « intersexualité » est utilisé dans le chapitre consacré aux données de la biologie, p. 51 et 52, avec une conclusion contestable aujourd’hui : « Il y a intersexualité lorsque l’équilibre hormonal n’a pas été réalisé et qu’aucune des deux potentialités sexuelles ne s’est nettement accomplie. »
Quand elle évoque l’érotisme masculin, Beauvoir remarque : « il faudra qu’il passe de l’attitude auto-érotique où le plaisir est visé dans sa subjectivité, à une attitude hétéro-érotique qui liera le plaisir à un objet, normalement la femme » (p. 82). C’est moi qui souligne, et vous avez compris pourquoi ! Cela dit Beauvoir ici ne fait que rapporter les conclusions de Freud, auxquelles elle s’oppose, de même quand elle écrit que la femme « peut être tentée de réagir au complexe de castration en refusant sa féminité, en s’entêtant à convoiter un pénis et à s’identifier au père ; cette attitude la conduira à demeurer au stade clitoridien, à devenir frigide ou à se tourner vers l’homosexualité » (p. 84). Le lesbianisme n’est quasiment pas évoqué dans ce 1er tome, où « le sort de la femme étant d’être vouée à un autre, si elle ne subit pas le joug de l’homme, elle est prête à accepter celui du diable » (p. 263). On retrouve l’adjectif normal plus loin : « Certes, chez l’homme aussi la décrépitude effraie ; mais l’homme normal n’expérimente pas les autres hommes comme chair ; il n’a avec ces corps autonomes et étrangers qu’une solidarité abstraite » (p. 269). Une des rares mentions de l’homosexualité masculine est faite incidemment : « Le Grec ne trouve pas dans la prisonnière du gynécée le semblable qu’il réclame : aussi porte-t-il son amour à des compagnons mâles dont la chair est habitée comme la sienne par une conscience et une liberté, ou bien il le dédie aux hétaïres dont l’indépendance, la culture et l’esprit font presque des égales » (p. 283). Une autre de même, encore plus légèrement : « Il arrive que d’autres objets soient féminisés ; puisque aussi bien la femme est en grande partie une invention de l’homme, il peut l’inventer à travers un corps mâle : dans la pédérastie, la division des sexes est maintenue » (p. 319).

 De façon incidente, et puisqu’il est question de femmes, profitons d’une brève notation relevée p. 179 : « Louise Labé fut sans doute une courtisane : en tout cas, elle était d’une grande liberté de mœurs », pour signaler un article de Laurent Angard qui fait le point sur une controverse récente sur l’existence de la poétesse : « Louer Louise ou l’énigme Louise Labé ».

 Le hasard me fait mettre la dernière main à cet article juste après avoir vu Stromboli, le film de Roberto Rossellini avec Ingrid Bergman. Parfaite démonstration de la femme comme poupée. Un film qui m’a d’autant plus exaspéré que dans les circonstances de sa programmation, il était présenté comme chef-d’œuvre. Tu parles ! C’est pendant le tournage de ce film que l’actrice a quitté son mari et ses enfants pour le réalisateur. Belle démonstration de la tentation du mariage ! À l’opposé, La Garçonne, de Victor Margueritte, qui date de 1922 et a eu un grand retentissement, semble une étude de cas à lire en parallèle à la thèse de Beauvoir. Il est étonnant que celle-ci ne l’évoque pas.

 Dans Mémoires d’une jeune fille dérangée, de Bianca Lamblin, on aura un portrait de Beauvoir en séductrice de jeunes filles, qui permet d’éclairer son roman L’Invitée, paru en 1943.
 Ce livre fait partie des nombreux ouvrages que j’ai lus pour écrire mon essai Le Contrat universel : au-delà du « mariage gay ». Et si vous l’achetiez ?
 Lire l’article consacré au tome 2.

Lionel Labosse


Voir en ligne : « Le Deuxième Sexe » en héritage, par Sylvie Chaperon


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[1On s’agacera peut-être, en plus de ces hapax que l’auteure ne se donne pas la peine d’expliquer, des citations non référencées (tout au plus précise-t-on l’ouvrage d’où elles sont tirées). Pour ne citer qu’un exemple, celle de Pythagore qui est en épigraphe : « Il y a un principe bon qui a créé l’ordre la lumière et l’homme et un principe mauvais qui a créé le chaos les ténèbres et la femme » : impossible de trouver d’où elle vient, surtout pour un texte traduit !

[2Notion qui éclairerait le mythe d’Antigone, selon un essai de Kathrin H. Rosenfield

[3Voir l’article de Christel Sniter : « Les femmes célèbres sont-elles des grands hommes comme les autres ? », (Contribution à l’étude de la statuomanie parisienne).