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Manipulations au collège, pour les 3e et le lycée

Caulfield : sortie interdite, de Harald Rosenlow Eeg

Éditions Thierry Magnier, 2007, 300 p, 17 €

mercredi 17 mars 2010

La violence psychologique et physique marque souvent les relations entre élèves dans les romans scandinaves (suédois et norvégiens) de notre sélection. Ce polar mystérieux ne déroge pas à la règle. La mort de Sturla sur les rails du métro, suicide, assassinat ou accident, est l’occasion pour Klaus, nouvellement arrivé à Oslo avec sa mère, d’enquêter tout en tentant de s’intégrer à son nouveau collège. La victime était attirée par les garçons, et semblait le cacher, mais cela ne suffit pas à expliquer cette mort, bien au contraire. Chaque fois qu’une explication simple se profile, la narration nous la dérobe, pour descendre de plus en plus bas dans l’embrouillamini des manipulations.

Résumé

À peine arrivé dans son nouveau collège dont sa mère sera la conseillère d’éducation, Klaus est témoin auditif d’une scène étrange entre un ado, un adulte et un chien. Il est question d’« arranger des notes », il y a des cris, des coups et des menaces, mais rien n’est clair. Puis Klaus surprend l’ado en question sur un ordinateur, tapant le mot de passe « Caulfield ». Il se présente et pose des jalons pour s’en faire un ami, formalité primordiale quand on change d’établissement. Le lendemain, le voilà qui frappe à la porte de la maison familiale. Klaus est ravi, mais Sturla est venu pour parler à sa mère, la conseillère d’éducation. Klaus fait tout pour le retenir, maladroitement, en attendant le retour de celle-ci, mais en vain. Sturla repart sur ces mots : « Nous deux, on va pas devenir amis » (p. 50). Et c’est l’accident : Sturla meurt écrasé par le métro. Sur les lieux du drame, Klaus retrouve par hasard la clé USB de Sturla. Il y jette un œil grâce au mot de passe, découvre le journal intime du garçon. C’est le début d’une enquête qui rebondira de page en page. Une messe est dite, en présence de tous les élèves de la classe du défunt ; sa « petite amie » chante merveilleusement, mais on apprend qu’il n’avait aucun ami, puis qu’il était attiré par les garçons (p. 127 et p. 263) et qu’il faisait semblant avec cette fille. Le roman L’Attrape-cœurs de Jerome David Salinger joue un rôle central dans l’intrigue : « Caulfield » est le nom de son héros, c’est aussi le mot de passe et le nom du chien de Lars, le prof dont on se demandera jusqu’à la fin s’il est manipulé ou manipulateur. On apprend que Mark David Chapman, l’homme qui tua John Lennon, avait ce livre sur lui lors de l’assassinat (p. 189). Par petites touches, l’enquête progresse tout en se dispersant. Nous devons nous arrêter là dans ce résumé, sous peine de gêner le plaisir du lecteur.

Mon avis

Ce roman noir, quasiment thriller, plaira aux lecteurs adolescents. Il a la grande qualité de ne pas désigner un responsable particulier, une victime innocente. Si la normopathie est pointée du doigt par le jeune narrateur (« Tu sais que Sturla est mort à cause de personnes comme toi ? […] des gens qui ne font rien. », p. 221), il est remarquable que l’homosexualité de Sturla et sa mort mystérieuse ne soient pas exploitées pour en faire un bouc émissaire ; au contraire, on est amené à se demander si cette victime n’était pas aussi coupable, de même pour une autre tentative de suicide, qui se révèle tentative de manipulation (p. 222). L’homophobie est plutôt fantasmée que réelle ; elle est même instrumentalisée comme accusation (p. 282). On retiendra un certain nombre de scènes fortes et osées, même si le narrateur s’arrête toujours un peu trop sagement, au mépris de la vraisemblance, au seuil de la vérité brute qu’il n’est pas capable de comprendre. Ainsi, lors d’une scène d’humiliation d’un personnage (Peik) dans les W.C., le lecteur comprend ce que le narrateur-personnage ne comprend pas ou n’arrive pas à dire : quelle est cette humidité dont il est « imprégné », et qui n’est pas du sang ? (p. 96). De même, on est étonné que, ayant en main le fameux journal intime de Sturla, il n’en lise qu’une seule page avant de le transmettre à sa mère, laquelle n’en saura pas plus avant de se le faire voler ! Les nombreuses allusions aux marques de vêtement si importantes pour les adolescents soulignent la vacuité de leurs relations sociales, basées sur l’apparence (être vu ou non en compagnie d’untel est une préoccupation constante du narrateur). Klaus note ce qu’il ressent, mais c’est au lecteur de comprendre. Ainsi, lorsque Stig demande à dormir chez lui, si Klaus est fier de s’être fait si facilement un nouveau copain, que signifie cette « envie de tendre le bras vers lui » aussitôt réprimée (p. 132) ? Le personnage consomme un joint et décrit ses sensations (p. 154), sans comprendre qu’il est en train d’être manipulé et qu’il paiera ce joint plus tard. De même, c’est avec un humour involontaire qu’il raconte ce que fait de lui la prétendue petite amie de Sturla : « je me retrouve assis dans le salon froid avec le pubis dénudé et la bite dressée entre elle et moi » […] « Elle donne l’impression de jouer avec un nœud » (sic) (pp. 175/177). Le récit de la 2e scène où Live lui saute dessus témoigne d’une intrusion de l’auteur, qui colle sur le récit de son narrateur maladroit des phrases un peu trop chiadées pour lui : « Ma main fond déjà contre elle, mon doigt s’engage dans une voie et disparaît dans un axe aussi chaud qu’est doux et moelleux l’enlacement que je trouve ensuite » (p. 271). Klaus est incapable de garder un secret, incapable aussi de comprendre certaines inadvertances que le lecteur comprend bien avant lui, ce qui fait de ce récit un texte intéressant pour des adolescents amenés à réfléchir sur les techniques de manipulation dont ils peuvent être l’objet de la part de leurs semblables.

 Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu

 Le traducteur Jean-Baptiste Coursaud est également auteur de L’homosexualité, entre préjugés et réalités. Il a traduit du norvégien On est forcément très gentil quand on est très costaud, de Dag Johan Haugerud et Prinçusse Klura et le dragon, de Tormod Haugen. Voir La Fille du squat, de Ragnfrid Trohaug et L’Été où papa est devenu gay, de Endre Lund Eriksen, autres ouvrages traduits du norvégien.
 Lire notre article sur L’Attrape-cœurs de J.D. Salinger.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Site de l’auteur (en norvégien !)


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