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Daphnis et Chloé revisité, pour les lycées
Lo, de Lucie Durbiano
Gallimard, Bayou, 2010, 104 p., 16 €
mercredi 20 juillet 2011
Après Le rouge vous va si bien paru dans la même collection, Lucie Durbiano nous offre avec Lo une histoire complète, la réécriture fort libre du roman grec antique de Longus, Daphnis et Chloé. Lucie Durbiano, en respectant très vaguement le canevas du roman, truffe son histoire d’autres motifs récurrents de la mythologie grecque, Diane, Bacchus, Zeus et son goût des jeunes filles, dont il n’est pas question dans le roman de Longus, ce qui justifie amplement qu’il ne soit fait aucune allusion à cette œuvre dans l’ouvrage, en dehors du nom des personnages. Le récit est traité dans la lignée de l’école Sfar (directeur de collection) : dessin non réaliste et décalage linguistique, jeu sur les registres de langue, érotisme décomplexé, etc. Un bon : livre pour contribuer à une éducation à la sexualité digne du XXIe siècle.
Résumé
La nymphe Lo mate sans vergogne le beau Daphnis qui se baigne nu dans une source. Elle lui vole sa flûte, mais quand il s’en aperçoit, il se fait piquer par une vipère – allusion ironique au serpent tentateur ? – du coup elle lui aspire le venin Je vous vois déjà venir avec votre esprit mal placé ! Lo tombe amoureuse folle de Daphnis, sans savoir que le bellâtre a déjà son amoureuse, la bergère Chloé, et qu’ils doivent se marier. Lo fait partie de la suite de la déesse Diane, qui veille jalousement sur ses jeunes vierges. Elles sont invitées à une bacchanale, et Diane fait la leçon à Bacchus son demi-frère, mais elle finit par accepter un petit verre. Cependant elle punit deux nymphes qui se sont mises à admirer les ébats de satyres. Aidée du faune Pip, qui lui fait d’inutiles avances, Lo poursuit Daphnis de ses assiduités. Elle usera de tous les subterfuges pour chiper le beau berger à Chloé, y compris une « poudre d’Éros » qu’elle se procure auprès de la sorcière Isadora. Cette poudre versée sur les paupières rend la victime amoureuse de la première personne qu’elle voit à son réveil. Hélas, le facétieux Pip passe par là au moment précis où Daphnis ouvre les yeux, alors que Lo est encore endormie, et voilà notre Daphnis oubliant Lo autant que Chloé ! Le faune profite un peu de la situation, avant de réparer la méprise du destin, à l’aide d’Éros en personne. En parallèle, Lo apprend qu’elle est la fille de Callisto, aimée de Diane, que Zeus avait séduite en usurpant l’apparence de Diane. Callisto avait été changée en ourse pour échapper à la jalousie d’Héra (dans le mythe, c’est Héra qui opère la transformation). Zeus est peint en mari volage et couard, en père indigne fuyant ses responsabilités et draguant les lolitas, un vulgaire berluscono en quelque sorte !
Mon avis
La trame de Daphnis et Chloé qui sert de toile de fond à Lo permet à l’auteure de s’amuser avec l’éducation à la sexualité. Les deux pages où les innocents berger et bergère tâchent de découvrir l’amour en observant leur troupeau sont tordantes. Comme Daphnis propose de se coucher tout nus comme béliers et brebis, Chloé fait remarquer que « ces bêtes se tiennent debout, les mâles montent dessus et les femelles les soutiennent sur leur dos ». Il s’agit d’un des rares passages emprunté presque tel quel au roman de Longus (III, 15). L’adaptation en B.D. est légitime : on se souvient que selon l’avant-propos du roman, l’histoire était à l’origine un tableau vu sur l’île de Lesbos. Selon cet auteur, qui à l’instar de Quinte-Curce, n’est connu que pour ce livre, « l’envie me prit de donner, avec ma plume, un récit rivalisant avec ce tableau » (traduction de Pierre Grimal, Gallimard, Pléiade, 1958). Le ressort du roman est l’innocence des choses de l’amour dans laquelle vivent ce berger et cette bergère tous deux abandonnés à la naissance, avec des signes de reconnaissance, et recueillis par des bergers : « Oui, je suis malade, mais quel est mon mal ? » s’exclame Chloé (I, 14). Il y a bien une fête de Dionysos dans le roman (II, 2), mais elle est loin d’atteindre ce qu’en a fait Lucie Durbiano ! De même, Éros intervient, et donne un baiser au vieux berger Philétas (II, 5), épisode non repris. Dans le roman, Daphnis, qui parvient pendant un hiver rigoureux, à se faire héberger chez Chloé, dort aux côtés de Dryas, le père adoptif de sa belle : « Daphnis n’avait lui qu’un vain plaisir, allant jusqu’à considérer comme un bonheur de dormir à côté du père de Chloé, si bien qu’il le prenait dans ses bras et lui donnait maints baisers, en rêvant qu’il faisait toutes ces caresses à Chloé » (III, 9). Dans la B.D., c’est Lo qui s’insinue de nuit contre Daphnis, et lui fait faire un rêve : un des cas où la B.D. ose moins que l’original ! De même, dans le roman, c’est Lycénion, la jeune femme d’un voisin de Daphnis, et non Lo, qui tente, et parvient par la ruse, d’obtenir les prémices du jeune pâtre naïf, en prétendant qu’un songe lui a ordonné de le déniaiser : « Quand il se fut assis, qu’il l’eut embrassée et qu’il se fut étendu, et qu’elle vit qu’il était à même de passer à l’action, et tout raide, elle le fit un peu lever […] » (III, 18). L’épisode homosexuel de Gnathon n’est pas non plus repris : cet esclave du riche maître du domaine tombe amoureux de Daphnis, pressentant qu’il vaut mieux qu’un berger, et le demande pour domestique personnel : « Mais Gnathon, qui ne savait que manger et boire jusqu’à l’ivresse et, quand il était ivre, se livrer à la débauche, qui n’était que mâchoire, et ventre, et bas-ventre, ne manqua pas de remarquer Daphnis quand il apporta les cadeaux ; naturellement amoureux des garçons, et voyant en lui une beauté comme il n’en trouvait pas en ville, il résolut de l’attaquer et pensa en avoir aisément raison, car il n’était qu’un chevrier » (IV, 11) [1]. Du coup, Lamon, père adoptif de Daphnis, révèle le secret de la naissance de Daphnis, pour éviter « qu’il serve de paillasse à Gnathon » (IV, 19). En dehors de ces cas d’édulcoration, qui ont d’autres motifs que la pudeur, le récit en rajoute dans l’aspect libertin. On entrevoit un jeune homme nu en érection dans une vignette de la bacchanale, p. 22, et les nymphes s’amusent à observer les ébats des faunes, dont on ne voit que l’écho qu’ils produisent chez elles ! Quelques trouvailles agrémentent le récit, comme lorsque Lo se liquéfie littéralement en découvrant l’amour de Daphnis et Chloé, ou qu’elle recueille un chien mauve qu’elle nomme Chagrin, et qui réagit à ses peines. Comme dans le roman, mais plus longuement, des poèmes de Sapho sont cités. En bref, on apprécie une création originale et divertissante, qui donne une vision altersexuelle de la Grèce antique.
– Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».
– De la même auteure et dans la même collection, lire Le rouge vous va si bien.
– Lire, sur « Culture et Débats » un article de Jacques Fréville pour Arcadie.
Voir en ligne : Lucie Durbiano sur Wikipédia
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[1] C’est à ce mot que Pierre Grimal éprouve le besoin d’ajouter cette note idiote, où le mot « pédérastie » est fort mal employé : « Les chevriers avaient entre autres, la réputation de se livrer entre eux à la pédérastie ».