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Un classique de l’érotisme réuni en deux volumes, pour adultes avertis
Gwendoline, de John Willie
Delcourt, coll. Érotix, 1946 à 1958/ rééd. 2011 et 12 ; 82 et 162 p., 14,95 et 20 €
mardi 5 juin 2012
John Willie (1902-1962), de son vrai nom Alexander Scott Coutts, est connu comme un pionnier de la bande dessinée érotique. Il créa la revue Bizarre entre 1946 et 1956, dans laquelle il publia ses dessins. Ces deux albums réédités en 2011 et 2012 par les éditions Delcourt dans l’excellente collection Érotix sont une compilation d’une œuvre en fait peu fournie mais appréciée des collectionneurs. Il s’agit pour l’instant de la bande dessinée la plus ancienne figurant dans notre sélection. Il est bien évident que nous déconseillons totalement ce livre dans le cadre scolaire, et que l’œuvre s’adresse uniquement à des adultes dûment avertis. Cependant ces deux albums, s’ils illustrent des scènes de bondage sado-masochistes, ne présentent d’une part aucune image pornographique, pas même une image de nudité, et l’humour et l’incongruité du scénario empêchent le lecteur de prendre ces images pour autre chose que de purs fantasmes. Enfin, l’absence d’hommes dans le premier volume, et le fait que les hommes du second soient présentés comme des seconds rôles ineptes ou comme un parfait imbécile inefficace pour ce qui est du « méchant », écartent toute interprétation machiste. Just Jaeckin a réalisé un film éponyme en 1984, que nous n’avons pas vu.
Il n’y a pas de véritable scénario dans ces deux albums, juste une vague histoire de princesse dont on usurpe l’identité dans le premier (intitulé La Princesse perdue), ou de course de chevaux qu’on veut empêcher dans le second (intitulé En course pour la Gold cup et autres raretés). Le second volume, qui recueille des histoires plus anciennes et inachevées, est moins abouti quant au dessin et même au scénario, qui atteint des sommets du kitsch : « Mais notre héroïne est plus rapide, elle a gagné, youpi ! » (p. 13). Ces canevas sont de simples prétextes à créer à chaque page des situations rocambolesques de bondage, dont le personnage de Gwendoline est devenue une icône. Il s’agit d’entraver une personne, en l’occurrence une femme avec toutes sortes de liens, cordes, chaînes, masques, cage, et tous objets en cuir. La « victime » est plus ou moins consentante, du moins quand les liens sont infligés par son amie, elle en redemande, sous prétexte de s’entraîner à les défaire le plus rapidement possible. Le lesbianisme est clairement suggéré, mais jamais explicite. Voyez par exemple ce dessin qui rappelle le talent de Paul Cuvelier dans Epoxy. Ne dirait-on pas deux lesbiennes extraites d’un roman de Cy Jung ? En tout cas on ne retrouve rien dans ces dessins de l’aspect malsain des scènes pseudo-lesbiennes pour hommes du cinéma porno bas de gamme.
Le fouet et ses traces sont également présents, mais on ne trouve dans les deux volumes aucune image valorisant la souffrance physique ; on comprend facilement qu’il ne s’agit que de fantasmes. L’absence de vrai scénario nous rappelle qu’on est à l’aube de la bande dessinée. John Willie peut d’ailleurs être considéré comme un dessinateur de mode, et ces deux volumes, à mon humble avis, trouveront une bonne place dans les bibliothèques de toutes les écoles de stylisme, surtout à notre époque de vogue du gothique. Les deux volumes sont complétés par des pages de dessins variés, qui évidemment feront hurler les féministes à œillères, mais intéresseront sinon amuseront les amateurs d’art. On remarque un goût particulier pour les talons aiguilles, qui ravira les amateurs de trampling (voir l’article Fétichisme de la chaussure de Wikipédia). Un dessin intitulé « Rubbididub » propose une sorte de vélo à fouetter, actionné par la victime elle-même ! Vous trouverez facilement l’image sur Internet.
– Dans la même collection, lire un grand classique de l’érotisme : Histoire d’O, de Guido Crepax d’après Pauline Réage, ainsi que Mona Street, de Leone Frollo.
– Voir une entrevue de Bernard Joubert sur les origines de la BD pornographique, pour ARTE.
– Sur le bondage, lire un article d’Alain François d’une grande érudition sur l’œuvre de Charles François Jeandel, un précurseur du bondage dont les photos sont exposées au Musée d’Orsay.
Voir en ligne : Un site en français consacré à l’œuvre de John Willie
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