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Une fille bien lotie, pour les 3e et le lycée
Gais Matins, de Catherine Bourassin
La Cerisaie, Ceriselles, 2002, 201 p, 16 €.
samedi 28 avril 2007
Un roman comme une épure mathématique, la cicatrisation d’une blessure enfantine par le baume de l’amour et de la narration. Un beau style au service d’un humour pince sans rire, d’une hypersensibilité qui sait prendre du recul, mais qui parfois se laisse emballer dans un relatif maniérisme.
Résumé
Léone travaille le soir dans une crêperie dijonnaise pour payer ses études semble-t-il de lettres. Mise en confiance par la tolérance bon enfant de ses employeurs, les Gollot mari et femme, elle se met à écrire ses souvenirs d’enfance, tout en nouant une première passion amoureuse avec Lottie, une cliente qu’elle drague de soir en soir. À dix ans, orpheline de mère, Léone avait été placée par son père dans un home d’enfants suisse sélect, « Gai-Matin » (p. 11). Asthmatique, elle ratait les cours du matin, mais vivait intensément ses rapports avec les autres pensionnaires, la directrice, et surtout Myrte, une organiste. Elle souffrait autant de l’asthme que du sentiment d’abandon, car son père ne venait la voir que rarement. À vingt ans, elle partage un appartement et ses états d’âme avec Sam, militant universitaire doté d’un « bon sens coutumier » (p. 182), pour qui « l’individu se forgeait dans la lutte des classes et l’idée même d’un traumatisme de l’enfance relevait de la littérature ou d’un conditionnement bourgeois et passéiste » (p. 53). Léone n’est pas dans le même état d’esprit, mais elle est plutôt bien lotie en tombant sur Lottie, laquelle semble en avoir fini avec « ses propres monstres » (p. 117) symbolisés par les célèbres gargouilles de Notre-Dame (de Dijon), et c’est sans ambages qu’elle décide un soir de répondre à ses appels du pied : « Vous désirez autre chose ? […] — Oui, la serveuse » (p. 63). Lottie part dès la nuit de leur rencontre charnelle, lui prêtant son appartement, mais c’est pendant son absence que Léone, en étant la spectatrice et le témoin involontaire de ses peintures et du manège qui tourne autour d’elle, achève de guérir sa « vieille cicatrice » (p. 53).
Mon avis
Le premier roman de Catherine Bourassin a la structure d’une courbe mathématique constituée de deux demi-courbes en apparence asymptotiques, qui se rejoindraient pourtant à l’horizon du roman, ou si vous préférez, d’une crevasse décrite d’en bas à un lecteur qui verrait le tout d’en haut par une fente. Ou si vous préférez encore, ce sont deux lignes mélodiques qui se rejoindraient au point d’orgue où le lecteur reprendrait son souffle avec l’héroïne. Ce point d’orgue, ou cette crevasse où le temps semble suspendu, c’est celui de l’absence de Lottie, celui nécessaire à la narration, et à la résorption de la cicatrice d’enfance par le récit. On goûtera les nombreux jeux de mots (« — Où sont les w-c ? […] — What ? […] — Les waters ? », p. 15) ; les évocations des jeux dans l’interprétation enfantine du langage, notamment cet extrait d’anthologie digne du « presbytère » de Colette, où Léone, entendant pour la première fois (et pour cause) la chanson de joyeux anniversaire en anglais, s’imagine entendre « As-tu peur des touyous » (p. 23) ; et encore le ton pince sans rire (passage p. 35 sur « la revanche de la crêpe »). Certains passages amuseront les jeunes lecteurs, par exemple celui où la grand-mère de Léone craint qu’elle ne se drogue, puis qu’elle se prostitue, avant d’apprendre rassurée qu’elle n’est que lesbienne (p. 127) ! On apprécie encore la précision chirurgicale de l’analyse des sentiments, surtout ceux de l’enfance : « On ne sait par quelle alchimie un signe particulier nuit ou provoque l’adhésion. Le calvaire de l’asthme rendait un adulte attentif et compatissant, là où un enfant pouvait se mêler de rallier les rires en singeant le grincement des poumons et les épaules rentrées, en ponctuant, pour finir, le tout de reniflements hypocrites sous-entendant la comédie intéressée » (p. 59). Ces qualités ont pourtant leurs limites dans l’excès de psychologie au détriment de l’action, et dans certaines phrases interminables hérissées d’adjectifs superfétatoires (relire la phrase précédente à cette aune). On eût apprécié plus de sobriété, et que l’auteure, en revanche, s’autorisât plus souvent les imparfaits du subjonctifs qu’appelait l’élégance de son style. On citera pour exemple de digression pour le moins amovible un épisode où, pour simplement faire rencontrer Raymonde, la voisine de Lottie, à Léone, pas moins d’un tapis persan, un employé de mairie, Ataturk et son compagnon sont convoqués pendant trois pages ! Ce n’est pas pour critiquer ce roman que nous disons cela, car nous savons malheureusement quelle sera la réaction des élèves de troisième par exemple. C’est pour regretter — ou suggérer — qu’il ne soit pas repris dans une version émondée, et que l’auteur fasse confiance au lecteur pour sauter tout seul de part et d’autre de la crevasse…
– Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».
– Voir les autres romans de Catherine Bourassin, Délits secrets et Un Salon blanc et vieil or, l’entrevue avec l’auteure, ainsi que le roman de Hakan Lindquist, De collectionner les timbres, qui présente au niveau de la structure et de certains motifs (église et orgue), une certaine similitude.
Voir en ligne : Site des éditions La Cerisaie
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