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« C’est le ressenti qui m’intéresse, ou la quête »

Entrevue de Catherine Bourassin

Auteure de Gais Matins

samedi 28 avril 2007

« Etre homosexuel c’est une autre appréhension du monde, ne serait-ce que parce qu’il y a toujours un moment dans sa vie où l’on se révèle à soi-même comme différent de la majorité. Notre aspiration amoureuse est en outre en complet décalage avec toutes les représentations qu’on nous propose. Il faut transposer ou s’adapter »

 Lionel Labosse pour altersexualite.com : Catherine Bourassin, merci d’avoir accepté de répondre à notre entrevue. Pouvez-vous répondre pour commencer à notre critique de votre ouvrage ?
 J’ai trouvé vos critiques pertinentes, j’ai ri parfois de votre façon de surenchérir sur les figures mathématiques ou les allusions littéraires. J’aimerais bien vous avoir comme lecteur avant de sortir un roman.

 Présentez-vous en quelques mots. Combien de livres avez-vous publié en littérature jeunesse / adultes ? Quels genres ?
 J’ai 50 ans. J’ai publié 3 romans (Gais Matins, Un Salon blanc et vieil or, Délits secrets, et 3 nouvelles dans différents recueils.

 Que pouvez-vous nous dire au sujet de l’altersexualité de vos personnages ou de l’intrigue ?
 Plusieurs de mes personnages principaux sont homosexuels, ils sont imbriqués dans leur époque et avant tout conditionnés par leur propre caractère. Certes, le fait d’être homosexuel ne leur facilite pas toujours la vie.

 Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire un livre qui aborde — de près ou de loin — les questions altersexuelles ?
 J’écris sur ce qui me touche, qui m’émeut, qui me fait rêver. Il y a toujours, je crois, dans mes livres, un côté idéal, qui se rapproche du conte, où j’aime me réfugier.

 Accepteriez-vous qu’on qualifie vos livres de romans « gais » ? ou romans « LGBT » ?
 Non, je ne l’accepte pas, mais on ne me demande pas mon avis… On ne dit pas « roman hétérosexuel », alors pourquoi « roman gai » ? Les personnes noires ont cette chance que l’expression « roman noir » soit déjà prise.

 Votre position d’auteur est-elle militante ? Vous inscrivez-vous dans la perspective de faire évoluer les mentalités, de banaliser l’altersexualité ? Préférez-vous raconter des histoires qui vous touchent et toucheront vos lecteurs ?
 Je préfère raconter des histoires, construire une intrigue, inventer des personnages. Mais, oui, je me sens militante en général, c’est-à-dire facilement concernée par les minorités, ou les injustices, celles à l’encontre des homosexuels ; mais le racisme, la condition des femmes m’impliquent tout autant, de même que la cause animale. Tout cela apparaît dans mes livres.

 Comment à votre avis peut-on parler d’amour en général et d’amour homosexuel en particulier ? Est-ce délicat ? Quelles sont les difficultés ?
 J’ai l’impression que je parle de l’amour homosexuel comme je parlerais de l’amour hétérosexuel. C’est le ressenti qui m’intéresse, ou la quête. Ce qui pourrait faire la différence, les scènes sexuelles, ne me vient pas sous la plume. Elles ne m’intéressent pas à écrire. Cependant, le fait d’évoquer l’homosexualité m’a valu quand même d’être placée dans la catégorie « romans érotiques » par la FNAC. Et j’ai dû protester !

 Vous inspirez-vous d’autres auteurs ou de grandes figures du panthéon altersexuel ?
 J’ai été très marquée dans ma jeunesse par Les eaux dérobées (Carol) de Patricia Higsmith et Les bonheurs de Jocelyne François.

 Quelles sont vos références en littérature générale, en littérature jeunesse, ou dans votre domaine éditorial ?
 Je n’apprécie pas trop que les livres soient catalogués mais si vous insistez : en littérature « jeunesse » les livres de Marie-Aude Murail, (Oh boy !) ou de Nathalie Le Gendre, (Automates), et d’Éric Simard (Le chant sacré des Baleines, Sohane l’insoumise) m’ont beaucoup plu. Je précise qu’Éric Simard est mon frère, nos conversations portent souvent sur les livres « catalogués » jeunesse ou homosexuels. En littérature « générale » : Boulgakov, Joyce Carol Oates, Fred Vargas, Philippe Djian, Jeanette Winterson, Jonathan Safran Foer.

 Quelle est votre implication personnelle, la part d’autobiographie dans votre roman ?
 J’aime m’appuyer sur des décors que je connais, des anecdotes qui me servent de tremplin. J’écris peut-être pour celle que j’étais adolescente. Mes livres finissent bien, peut-être encore pour cette raison.

 Évoquer l’altersexualité, cela vous renvoie-t-il à votre propre parcours ? À vos propres interrogations sur les désirs et la vie ? À une vision du monde et des relations humaines ?
 Bien sûr, être homosexuel c’est une autre appréhension du monde, ne serait-ce que parce qu’il y a toujours un moment dans sa vie où l’on se révèle à soi-même comme différent de la majorité. Notre aspiration amoureuse est en outre en complet décalage avec toutes les représentations (cinéma, livres, publicité) qu’on nous propose. Il faut transposer ou s’adapter. Disons que toutes ces contorsions qui nous deviennent naturelles nous apportent une souplesse d’esprit…

 Quelles difficultés particulières avez-vous rencontrées dans l’écriture de votre livre ? Comment a-t-il été accueilli par les éditeurs, auprès de la presse, auprès du milieu scolaire ?
 J’ai dû attendre 15 ans avant de me faire éditer et c’était plutôt décourageant. J’ai été bien accueillie dans la presse homosexuelle, mais n’ai pu avoir aucun article dans la presse générale.

Propos recueillis par Lionel Labosse.


© altersexualite.com 2007.
Photo de la vignette : © Philippe Ly Cong