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Parcours d’un sans-papier, pour les 3e et le lycée.
Le Voyage clandestin, de Loïc Barrière
Seuil, 1998, 183 p., 10,95 €.
lundi 30 avril 2007
Adel a 20 ans, mais sa conception du monde est celle d’un vieillard, et le seul personnage adolescent que l’on croise, le fameux Dominique, n’est jamais amené au premier plan. Les allusions à l’altersexualité non plus, comme si l’auteur n’avait pas osé aller au bout de son sujet. Ce roman, fort intéressant au demeurant, a-t-il vraiment sa place en collection jeunesse ?
Résumé
Adel Bencherif, vingt ans, quitte Alger pour passer clandestinement en France, via le Maroc et l’Espagne. Il n’a pas d’autre motivation, semble-t-il, que de fuir la pénurie de denrées, la pauvreté, et aussi ses deux frères qui virent à l’intégrisme. Il se rend donc à Paris, au péril de sa vie, volé par les uns, aidé par les autres. Ce dont il rêve, en fait, c’est de l’Australie. Adel n’est pas un kangourou qui amènerait l’islam dans sa poche, comme ses deux frères dont on apprend à la fin du roman qu’ils sont partis en Afghanistan, mais une autruche qui se met la tête dans l’islam pour ne pas voir la réalité. La réalité, tout le monde la lui dit sur son chemin, c’est qu’il n’a rien à faire en France, il n’y a pas le moindre projet, il n’a aucune volonté de s’y intégrer à quoi que ce soit. Il sera comme ces étudiants africains qui étudient l’islam à Alger, dont lui-même dit : « Il les avait souvent entendus se plaindre de racisme, mais chaque année ils revenaient plus nombreux » (p. 32). Comment concilier cette bigoterie, cette naïveté, avec ce rêve d’Australie ? Ce qu’il fuyait surtout, c’était les « hittistes », ces jeunes hommes qui passent leur temps adossés à un mur dans l’attente d’un emploi, d’un avenir qui ne vient jamais. Adel a arrêté l’école à 15 ans. Pour tout viatique, il a en poche l’adresse de Dominique, une jeune fille dont il avait découpé la photo dans un magazine de jeunes, et avec qui il a correspondu. Il lui a écrit des poèmes d’amour, il est amoureux d’elle autant qu’on peut l’être de lettres et d’un paraître. À Paris, il finira par retrouver cette Dominique, qui n’était qu’un garçon de 17 ans — une blague. Après avoir épuisé toutes les ressources des hébergements précaires, il échouera chez Catherine, la mère de ce garçon, passionnée d’Algérie, qui se démènera pour lui trouver une solution. Elle n’y va pas par quatre chemins, compare les clandestins aux enfants juifs déportés, et elle à une Résistante. Pourtant c’est surtout par amour pour ce jeune oiseau tombé du nid, qu’elle envisage une solution rocambolesque, lui faire teindre les cheveux en blond, et lui faire établir un vrai faux passeport au nom de son fils, pour l’envoyer en Australie. Elle tombera évidemment amoureuse de lui une fois qu’il sera parti, et on se demande si elle n’est pas tombée du nid à son tour. Adel est arrêté à l’occasion d’un contrôle de titres de transports, et séjourne en maison d’arrêt, où il fait la connaissance de nombreux Algériens. Certaines bonnes âmes diront encore que cela donne une image caricaturale des Maghrébins… Parmi ceux-ci, Madjid / Warda, transsexuelle douée pour le chant et pour la fellation. Il faut encore citer Monsieur Maurice, juif pied-noir directeur de la prison, surnommé « père Couscous », qui islamise la prison pendant le Ramadan, ce qui n’empêche pas les détenus musulmans de se rebeller.
Mon avis
Ce résumé ne donne qu’un aperçu de la tempête qui se déchaîne dans le crâne d’Adel. Difficile, en 183 pages, de faire le tour d’une question aussi délicate. Loïc Barrière n’a pas choisi la facilité, avec ce personnage qui n’a rien pour lui, et dont on se demande jusqu’au bout pourquoi il a fui l’Algérie. En effet, il semble aimer ses parents et souffrir de la nouvelle de la mort de sa mère, et si sa conception de l’islam est diamétralement opposée à celle de ses deux frères, la religion ne quitte pas son esprit ni celui de l’auteur, à tel point qu’on a l’impression que les deux passent à côté de leur sujet. On se demande d’ailleurs pourquoi ce roman est paru en collection jeunesse. C’est pourtant un roman à proposer, à des élèves pourvus d’un esprit critique. Des élèves capables également de décrypter les nombreux mots en arabe, dont l’éditeur aurait pu donner le sens en note. Par exemple, pour le mot « hittiste », donné page 17, il faudra attendre la signification page 82, mais c’est le seul cas où l’auteur nous aide. Voilà donc une piste pédagogique toute trouvée : établir le glossaire manquant, ainsi qu’une documentation sur les allusions à la civilisation arabo-musulmane, dont l’auteur est un fin connaisseur, notamment la musique.
Adel a 20 ans, mais sa conception du monde est celle d’un vieillard, et le seul personnage adolescent que l’on croise, le fameux Dominique, n’est jamais amené au premier plan. Les allusions à l’altersexualité non plus, comme si l’auteur n’avait pas osé aller au bout de son sujet. C’est la raison pour laquelle nous nous demandons si des lycéens auraient la maturité pour analyser ces allusions sans en tirer des conclusions homophobes. Je dois procéder à un relevé exhaustif. Cela commence avec une visite inopinée de la tombe de « Janjoné », alias Jean Genet, à Larache, qualifié d’ « ami des martyrs palestiniens » (p. 15), et rien d’autre ; puis une allusion aux jeunes Arabes qui se prostituent dans les toilettes des gares (p. 60). Il y a ensuite cet adolescent qui fait une blague en se travestissant pour draguer un Algérien à distance. Adel est furieux, mais même quand il aura une liaison avec la mère de ce garçon, l’auteur ne tirera pas ce fil, comme s’il avait, à l’instar de son personnage, peur du sujet. C’est ensuite une allusion à un prince du Golfe qui lui propose un emploi, mais dont il apprend qu’« il baise les filles et les garçons qui arrivent et il les jette à la rue » (p. 68) : « Shaytan ! » se contente de dire Adel. C’est un peu court, jeune homme ! Puis la proposition troublante de se teindre en blond, mais qui en reste là. Puis le vieux Mansour, rencontré en prison, qui traite les flics de « sales enculés » (p. 114). Enfin, Warda profite de la fièvre d’Adel pour lui faire une fellation. Celui-ci laisse faire, puis : « Le désir retombé, Adel tira Warda par les cheveux, et, voyant son visage souillé, il le rejeta violemment à terre en le traitant de putain » (p. 150). Voilà.
Dans l’état actuel des choses, nos élèves ont-ils le recul nécessaire pour ne pas se méprendre sur le sens de ces allusions ? Oui, on rencontre de tels personnages dans la réalité, mais il serait dommage que ce soit là le premier roman lu par des jeunes où l’altersexualité soit présente. Surtout que ce roman est paru en 1998, bien avant des romans plus explicites et plus militants. Nos élèves auront-ils les moyens d’analyser les ambiguïtés du personnage, qui à vingt ans se scandalise parce qu’il voit des photos de femmes nues dans sa cellule, parce qu’un garçon lui a joué un tour en se travestissant ; qui joue les bigots à tout bout de champ, mais se laisse tailler une pipe par Warda avant de l’insulter, mais fait l’amour à Catherine sans hésiter ? Elle-même aura cette phrase amusante à la fin du roman : « vous êtes de ces hommes qui, lorsqu’ils font l’amour, n’aiment pas qu’on leur en parle après » (p. 172). Cette phrase de série B, avec cet improbable vouvoiement, semble en complet décalage avec le profil du personnage, dont c’était sans doute le dépucelage, quand on songe au contrôle social de la sexualité en vigueur en Algérie. Bref, la question de la sexualité aurait mérité un traitement plus approfondi, et sans doute alors le roman eût-il été « fini », et édité en collection adulte. On songe aux spectacles de Fellag, qui évoque les « hittistes », leurs désirs d’Europe ou d’Australie, et leurs frustrations sexuelles avec beaucoup plus d’humour et de distance…
– Vous trouverez le dossier de presse de Loïc Barrière, ainsi que des entrevues sur son site, et une séance de photos sur le site de Crocus Photographe d’écrivains.
– Voir Déchaîné, d’Ally Kennen, un roman qui a en commun le thème de la prison et d’un ado qui se fait passer pour sa mère pour écrire des lettres.
Voir en ligne : Site de Loïc Barrière
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