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Travesti malgré lui, pour les 5e / 4e.

Garçon ou fille, de Terence Blacker

Gallimard jeunesse, Scripto, 2004, 314 p., 11,5 €.

mardi 1er mai 2007

Garçon ou fille prend sa place dans la tradition anglo-américaine des comédies de travelotage, version teen-ager. On rit de bon cœur, bien sûr, et il ne s’agit pas de gâcher son plaisir, en attendant l’inévitable version cinéma, avec les vedettes habituelles dans les rôles de parents modernes ou caricaturaux. On regrettera cependant que, comme dans les versions pour adultes d’il y a vingt ou cinquante ans, l’auteur fasse tout pour nous rassurer sur l’hétérosexualité de son travesti malgré lui.

Résumé

Sam, déjà Américain caricatural, a treize ans quand il perd sa mère dans un accident de voiture. Son père, un gangster sans scrupules étant en prison, Sam traverse l’Atlantique pour s’installer dans la famille de sa tante, où la consternation s’empare de Matthew et des parents Burton devant son manque d’éducation. Déstabilisé par la découverte d’une famille unie, d’un père qui prend sa part des tâches ménagères, Sam roule des mécaniques, et frime avec une image idéale de son père en héros d’un film de gangsters. Il déclenche une bagarre quand on « traite » son père, et la bande de Matthew décide de le mettre à l’écart, mais il en est bouleversé, et révèle sa faille, sa solitude d’enfant abandonné. Pour se racheter et réintégrer la bande, il demande de subir un test. Matthew et ses amis ont une idée qui leur permettrait en même temps de se venger de la bande rivale de filles : Sam doit se « traveloter » (p. 50) pendant cinq jours. Et voilà Sam qui relève le défi, et joue de son origine américaine pour composer un numéro de fille moderne et décomplexée, féministe à sa manière, qui bouleverse en quelques jours les habitudes de la respectable école Bradbury Hill. Cette métamorphose entraîne un changement de caractère, et Sam n’a plus peur de montrer ses failles. Les filles rêvent de faire de Sam leur meilleure copine, tandis que les garçons la craignent ou l’admirent. Sam joue sur les deux tableaux, et abuse de la situation pour jouer tous les tours imaginables, jusqu’au jour où son père, sorti de prison, ayant appris que Sam dispose de l’héritage substantiel du premier mari de sa mère, débarque à Londres. Sam décide de continuer l’opération Samantha pour échapper des griffes de son père, dont il avoue dorénavant les mauvais côtés. Et voilà « que son corps a commencé à n’en faire qu’à sa tête » (p. 213)… Comment rétablir la vérité, quand la ville entière admire la charmante petite Sam ?

Mon avis

Garçon ou fille prend sa place dans la tradition anglo-américaine des comédies de travelotage, version teen-ager (Voir Quand papa était femme de ménage, d’Anne Fine). On rit de bon cœur, bien sûr, et il ne s’agit pas de gâcher son plaisir, en attendant l’inévitable version cinéma, avec les vedettes habituelles dans les rôles de parents modernes ou caricaturaux. Disons seulement qu’au long de ces 300 pages, fort bien traduites de l’anglais par Stéphane Carn, on ne trouvera rien de bien surprenant. Pour mieux imiter les versions adultes, ce garçon de treize ans n’oublie pas de compenser l’ambiguïté du travelotage en jurant comme un beauf que le jus de fruit est une « boisson de fiotte » (p. 57), ou en protestant virilement si Matthew le prend par le coup pour éviter que leur secret ne soit éventé. Quand on lui demande si elle a un petit copain, son indignation lui fait perdre son sang-froid et s’écrier « qu’elle laissait ça aux homos » (p. 129). Les parents eux-mêmes s’en mêlent, et quand Sam accepte l’invitation du tombeur du lycée à un match de foot, voyant à quel point il prend à cœur son rôle de fille, s’exclament : « Non pas que nous ayons quoi que ce soit contre les gays… ! Mais tout de même. C’était préoccupant. » (P. 236). Heureusement, Sam les rassurera en prouvant sa virilité par sa participation enthousiaste à une mêlée de hooligans, coquard à l’appui. Pour la finesse, prière de repasser dans dix ans, quand l’équivalent du pacs aura été instauré au Royaume-Uni. À l’instar de La guerre des fées, de Herbie Brennan, ce roman ne se mouille guère dans l’ambiguïté des sentiments, et quand Zia se demande pourquoi elle est si touchée quand Sam lui sourit, il ne faudra que quelques pages pour que la supercherie lui soit avouée, des fois qu’on aborderait enfin le cœur du problème. Pour ceux qui auraient la nostalgie d’un « Mais je suis un homme ! — Personne n’est parfait ! », c’est un peu décevant. Quant à la composition, l’auteur abuse du procédé d’alternance des narrateurs. Le changement de voix tourne au tournis, et, surtout dans la première moitié, au remplissage digne du roman-feuilleton. Les scènes les plus insignifiantes nous sont racontées trois fois de suite, au cas où on n’aurait pas compris. L’intérêt de ce procédé, en principe, est de nous faire accéder à des subjectivités diverses. Or ici, les mentalités sont soit conformes, soit caricaturales. On signalera tout de même quelques passages intéressants (mais convenus). La scène où Sam, qui a oublié de retirer sa montre de sport, retourne la situation en la faisant passer pour la dernière tendance aux States (p. 85). L’analyse du prof sur la dynamique de classe (p. 117). La scène d’éducation sexuelle parentale (p. 139). Et, plus originale, une réflexion sur la domination féminine, où Jake, un des copains de Matthew, est harcelé par ses sœurs et sa mère. Bref, nous recommandons fortement d’accompagner la lecture de ce roman d’un débat ou d’une réflexion sur la question du genre, pour éviter que les élèves n’y voient qu’un roman de travelos où tout finit bien par le retour à la normale la plus normative qui soit…

 Voir sur le même thème, La nouvelle robe de Bill, d’Anne Fine, ainsi que Championne à Olympie, de Claude Pujade-Renaud & Daniel Zimmerman. En 2008, Le Jour où je me suis déguisé en fille, de David Walliams renouvelle enfin le genre !

Lionel Labosse


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