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Un documentaire attendu, pour le lycée

VIH-Sida : la vie en danger, d’Aggée Célestin Lomo Myazhiom

Syros, J’accuse, 2007, 150 p., 7,5 €.

mercredi 31 octobre 2007

Aussi étonnant que cela paraisse, à ma connaissance, aucun documentaire consacré au sida n’était jusqu’à présent disponible dans une collection spécifiquement destinée aux jeunes. Le livre d’Aggée Célestin Lomo Myazhiom vient donc bien tard combler une lacune. Malgré certains propos avec lesquels je ne suis pas tout à fait d’accord, il la comble fort bien, avec deux témoignages particulièrement pertinents et des informations précises et concises. Ce livre me semble cependant destiné plutôt aux lycéens et aux adultes qu’à tous les collégiens « à partir de 11 ans » comme le préconise Sophie Pilaire dans son article pour Ricochet. Il serait bon que l’éditeur précise la classe d’âge concernée, quitte à publier un autre livre pour les « pré-ados ». Je profiterai de cet article, au-delà d’une simple recension, pour exprimer mon point de vue sur un sujet sensible, en renvoyant à quelques sites sur lesquels vous trouverez des compléments d’information.

Malgré le titre va-t-en-guerre de la collection, les propos sont mesurés, et même si l’expression « maladie exterminatrice » est employée p. 11, l’auteur ne tombe pas dans le travers de la terrorisation qui a entaché de nombreux ouvrages ou campagnes de sensibilisation, et que j’ai signalé par exemple, dans un ouvrage au demeurant indispensable : Antimanuel d’éducation sexuelle, de Marcela Iacub & Patrice Maniglier. En effet, dans tous les domaines sensibles qui touchent les adolescents, dès qu’un adulte se met à produire un discours psychorigide, par exemple en ce qui concerne le cannabis, s’il l’assimile sans nuance à « de la drogue » et le condamne au même titre que l’héroïne, non seulement il peut être sûr que les ados ne l’écoutent plus sur ce sujet précis, mais encore il se disqualifie sur tout autre sujet. Il en va de même pour la prévention des MST, et, que ce soit face à un public adulte ou adolescent, si vous commencez à proclamer : « il faut mettre une capote sous peine de mort dès que vous touchez un pénis ou une muqueuse », 50 % du public ferme ses oreilles, or ce sont justement ces 50 %-là qu’il faudrait atteindre ! Sans oublier que, lorsqu’on présente le sida comme une maladie terrible, on augmente la trouille des gens à faire un test, et à aller chercher les résultats du test, ce qui, globalement, contribue à aggraver l’épidémie. Il faut à mon avis au contraire insister sur le côté « maladie chronique » et l’efficacité des traitements à faire diminuer la « charge virale », pour encourager les gens à se faire dépister régulièrement.

Deux excellents témoignages

Le livre commence – marque de fabrique de cette collection dirigée par Philippe Godard – par deux témoignages. Une Franco-Camerounaise de 38 ans et un Français de 46 ans retracent leur parcours, entre militance, découverte de la séropositivité et gestion au quotidien des traitements. Ces témoignages sont complémentaires, et abordent tous les points importants, sans tabou, tout en véhiculant un message d’espoir. « Je n’ai pas pu supporter la cruauté de ces images » (p. 26), se rappelle la jeune femme, qui a appris sa séropositivité au Cameroun en 1992, dans un contexte de campagnes d’information à base d’images choc. Dans un milieu machiste et polygame [1], elle se retrouve vite isolée. La question sexuelle est abordée par les deux témoins, que ce soit l’« inhibition sexuelle » vécue par la jeune femme, ou les difficultés de la prophylaxie dans une sexualité libre : « il y a des personnes qui cherchent à avoir des rapports sexuels non protégés, et dans certains rapports ils s’arrangent pour provoquer des “accidents“ comme par exemple enlever le préservatif durant l’acte sexuel » (p. 50). L’homme, homosexuel et militant, ne cache pas ses doutes quant à un possible acte manqué lors de sa contamination, « pour faire partie à l’époque du groupe des martyrs » (p. 48). Il expose les difficultés de l’aveu réitéré au quotidien à de nouveaux partenaires. C’est très osé, mais louable, d’avoir choisi ce témoignage, qui nous change du sempiternel « il suffit de mettre des préservatifs, point barre ». D’une façon très habile, c’est à la fin de ce second témoignage qu’est abordée la nécessité d’une éducation sexuelle « sans tabous » (ce qui sera repris p. 113), ce qui conduit à la partie proprement documentaire.

La partie documentaire : chiffres & statistiques

Cette partie documentaire bénéficie de travaux récents. On apprend par exemple que « Le premier échantillon recensé du virus VIH a été recueilli en 1959 à Léopoldville » (p. 61). Le sida est décrit comme un « fait social total » (p. 63). Quelques graphiques et schémas permettent une vue d’ensemble de ce fléau bicéphale selon qu’on le considère vu d’Europe, où le sida est devenu une maladie chronique comme une autre, ou vu d’Afrique ou d’Asie du Sud et du Sud-Est, où l’espérance de vie a considérablement chuté à cause du VIH (tableau p. 64). L’exemple du Cameroun est développé (p. 70) en lien avec le premier témoignage [2]. Pour la France, des chiffres de l’INVS sont publiés, que l’on pourra mettre à jour sur les bases de données sida et VIH du site de l’INVS.
On pourrait légèrement discuter les chiffres avancés dans l’ouvrage, par exemple : « les données de l’INVS estiment à 7000 le nombre de personnes ayant découvert leur séropositivité VIH en 2005 en France » (p. 73) : si l’on consulte le tableau de l’INVS (cf. ci-dessus), on tombe plutôt sur 4400, qu’il faut certes réévaluer en tenant compte de la sous-déclaration de 35 % ; mais en la matière, j’ai toujours observé une tendance à la surestimation des données. Citons par exemple l’étude du n°37 du Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire du 17 septembre 1990 (qu’on peut télécharger sur le site de l’INVS). Ce BEH montre que les estimations du nombre de séropositifs « varient selon diverses sources de 100 à 500 000 », et donne une fourchette entre 95 000 et 188 000. Le chiffre de « 130 000 personnes séropositives pour le VIH » en France fin 2005 (p. 72) — 15 ans plus tard donc — montre que les données, à l’époque, avaient été encore surévaluées, même si on ajoute les « 34 211 décès ». De plus, quand on rapproche les informations de la p. 74, selon lesquelles « 1 découverte de séropositivité sur 3 concerne une personne originaire d’Afrique subsaharienne » avec forte diminution du nombre de cas chez les Français, et forte augmentation chez les migrants, avec l’annonce d’un « relâchement en matière de dépistage et de protection » (p. 77), on ne peut que diagnostiquer cette tendance à noircir le tableau (dans un but louable certes, mais à long terme, on se décrédibilise). Il suffit de regarder les graphiques de l’INVS pour constater à quel point, en France, les statistiques sont en diminution. Si le nombre de cas de sida augmente, c’est parce que beaucoup de migrants originaires de pays à forte prévalence sont infectés [3].

Sida et éducation à la sexualité

Le deuxième point important du dossier est l’information sur les modes de transmission, qui joue un rôle d’éducation à la sexualité. Que le sida soit un prétexte idéal pour aborder l’homosexualité n’est pas nouveau, mais ce livre va plus loin – à ma connaissance – qu’on soit jamais allé en collection jeunesse. Une échelle des risques est proposée, basée sur un document de la « Société canadienne du sida » qu’on peut télécharger, allant du « risque négligeable » au « risque élevé ». Les mots précis sont utilisés, dont certains sont expliqués dans un glossaire en fin de volume (cunnilingus, anilingus, fellation), dans le même état d’esprit de précision sans tabou déjà louable dans les témoignages. Une seule question, mais elle est de taille, se pose pour moi à la lecture : est-il vraiment utile de mentionner, en « risque négligeable », la « pénétration manuelle (main-anus/main-vagin) donnée ou reçue avec ou sans gant en latex » ? [4] Je souhaite bon courage à la documentaliste à chignon (ou au documentaliste en débardeur tricoté par maman !) un peu coincé(e), lorsque un élève de 11 ans (comme il est dit sur le site de Ricochet) viendra lui demander innocemment ce que signifie cette mention. Je ne veux pas dire que cela doive être tabou, mais que si l’on décide d’aborder ce point dans un livre pour les jeunes, on ne peut pas le faire incidemment. Il faudrait d’une part préciser que le mot couramment employé en dehors du Canada francophone est « fist-fucking » [5], d’autre part que cette pratique est à déconseiller à des personnes novices, et que si elle est pratiquée par des personnes non informées, même si le risque de transmission du VIH est « négligeable », d’autres risques existent, dont certains très élevés (je n’entre pas dans les détails, l’article de Wikipédia signalé ci-dessus est suffisamment clair, et il est réservé à des personnes averties). Je ne suis pas forcément d’accord avec l’auteur dans la conclusion de ce chapitre : « la connaissance des risques n’empêche pas l’adhésion à de fausses croyances, d’où la nécessité d’être plus offensif dans les campagnes de prévention » (p. 88). Si je puis répondre par une boutade, je dirai que la fausse croyance en l’existence de Dieu ne justifie pas qu’on soit plus offensif dans l’enseignement du darwinisme, selon le bon vieux principe selon lequel plus on tape sur un clou, plus on l’enfonce ! Par contre, diffuser des ouvrages tels ques celui-ci et promouvoir une éducation à la sexualité digne de ce nom et véritablement laïque, peut œuvrer en ce sens !

Questions subjectives

Au chapitre des « fausses croyances », je mettrai en relation l’affirmation de la p. 86 : « des charlatans laissent croire que l’on guérit du VIH-sida », avec celle de la p. 90 : « parfois les traitements rendent [la] charge virale indétectable », et celle de la p. 93 à propos du fameux relâchement chez les homos adeptes du barebacking (le mot est cité en V.O. !) : « les conséquences en sont désastreuses ». Pour éviter ce genre de raccourci, qui mène vers des campagnes « plus offensives » inutilement stigmatisantes vis-à-vis des séropositifs qui les subissent aussi, je conseille la lecture de divers articles sur le site de l’association The Warning, dont cette entrevue avec Christophe Broqua, ainsi que la lecture de la brochure de l’association Gaynok. Sur la question de la criminalisation en cas d’infection (p. 97), le ton est heureusement mesuré. Un autre chiffre m’a posé problème : on apprend que selon Amnesty International, en 2005, « Moins de 15 pour cent des personnes nécessitant un traitement antirétroviral dans les pays développés le reçoivent ». Pourtant, p. 71, il est dit qu’au Cameroun, en 2006, « seulement 25 500 malades, sur plus de 100 000 qui en avaient besoin, étaient sous trithérapie », le prix annuel total d’un traitement étant évalué « entre 3050 et 4574 euros » ; p. 28, il est dit en note que « grâce à l’importation par le ministère de la Santé du Cameroun de génériques en provenance d’Inde, le prix des ARV depuis 2005 oscille en ville entre […] 23 et 28 euros », sans qu’il soit précisé d’unité de temps (par mois, par an ?) ; enfin, p. 117, il est dit que Aujourd’hui, le coût d’une trithérapie de base en génériques atteint 250 dollars américains par an ». Ces incohérences devraient amener à un constat selon lequel les associations, pour des raisons que l’on comprend bien, tiennent souvent un discours exagérément alarmiste, et qu’il convient de recouper les chiffres avant de colporter des demi-vérités. Un chapitre consacré aux femmes fait état des risques spécifiques dans un contexte où les femmes, surtout les jeunes, sont victimes d’une « vassalisation » sexuelle.

Il est aussi question des méchants « sugar daddys » (p. 108) dont seraient victimes les jeunes filles en Afrique (cette expression ne désigne pas des pédophiles, car il n’est pas question d’enfants mais bien de « jeunes filles »). Là aussi, qu’il me soit permis d’estimer qu’on tombe un peu dans le café du commerce, et qu’on montre du doigt d’une façon manichéenne des comportements qui demanderaient une analyse plus nuancée. Parmi tous les maux qui peuvent accabler un jeune ou une jeune Africaine, le fait de devenir le compagnon ou la compagne d’un ou d’une Occidental(e) friqué(e) ne me semble pas le plus grave ; d’ailleurs, le premier témoignage fait état des déboires d’une jeune Camerounaise non pas avec un méchant Occidental, mais avec un gentil Camerounais de 15 ans de plus qu’elle. Je ne sache pas que les Occidentaux d’âge mûr se protègent moins que les Africains d’âge moins mûr ; en tout cas des expressions telles que « les chiffres les plus effroyables » (p. 108) gagneraient à être réservées à des génocides…

En annexe, le glossaire est assez fourni, et sans tabou. Il est dommage que les pages de ressources ne fournissent aucun commentaire sur les nombreuses associations citées, car leur nom est parfois peu explicite. La bibliographie ne fournit dans la rubrique « témoignages et romans » que des romans pour adultes, et pas un seul des excellents livres qu’on trouvera pour les jeunes dans notre sélection, parmi lesquels j’en citerai trois ici pour les impatients : La Vie à reculons, de Gudule, La Nuit du concert, de M.E. Kerr et Le Cerf-volant brisé, de Paula Fox. Je tiens également à citer pour mémoire les ouvrages de Pascal de Duve, notamment le roman Izo, qui ne contient pas le mot « sida », mais est imprégné de l’urgence de vivre de cet écrivain fauché par la maladie. Izo est un excellent roman qu’il serait urgent de rééditer dans une collection pour adolescents. Un documentaire pour les jeunes est signalé, mais je n’en ai trouvé trace sur Internet que dans sa version originale en anglais ; il est donc à craindre que je ne puisse pas le retrouver pour faire un article : Sida : ce que les jeunes doivent savoir, Nouveaux Horizons, 2002, de Barbara Christie-Dever.

 Dans la même collection, voir les indispensables Le Droit d’aimer (Combattre l’homophobie), de Julien Picquart et Le Pacte d’Awa, d’Agnès Boussuge et Élise Thiébaut.
 Voir, paru en 2009, l’essai Sida et homosexualité(s) en Afrique. Analyse des communications de prévention, de Charles Gueboguo.
 En 2010, parution d’un ouvrage concurrent sur le même créneau : Le Sida, par Bruno Spire et Graciela Cattaneo.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Extrait d’un ouvrage de l’auteur sur l’esclavage des noirs


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Retrouvez l’ensemble des critiques littéraires jeunesse & des critiques littéraires et cinéma adultes d’altersexualite.com. Voir aussi Déontologie critique.


[1Je ne fais pas de lien entre les deux.

[2Ce qui fait de ce pays un pôle de recherche sur l’homosexualité et le sida, avec la question de l’homophobie et les recherches de Charles Gueboguo.

[3Je m’interroge d’ailleurs sur cette habitude de langage de spécifier les migrants d’origine sub-saharienne : est-il pertinent de les couper à ce point des migrants de toute l’Afrique d’une part, et de tous les migrants d’autre part ? Si un seul chiffre a du sens, c’est celui de tous les migrants, dans le sens où il nous renseigne sur l’efficacité des campagnes de prévention en France, et éventuellement, nous encourage à mieux cibler les campagnes à venir (est-il utile de financer des campagnes de prévention spécifiques pour les gays français, si l’on constate que dans ce groupe, la contamination est en forte baisse, alors qu’elle n’est en hausse que chez les migrants ?).

[4Il ne s’agit pas de « pénétration digitale », déjà signalée à la ligne précédente dans la même catégorie « risque négligeable », mais bien « manuelle ».

[5Ce qui justifie qu’on aborde la question, car du fait de certaines émissions populaires écoutées par les jeunes, le mot fait partie de leur vocabulaire à titre de provocation sans qu’ils en connaissent le sens, comme « sodomie » il y a 15 ans.

Messages

  • Heureux de savoir qu’un auteur, qui plus est Africain, s’est intéressé à la question de l’éducation sexuelle en contexte de Sida. En effet en Afrique, nous ne cessons pas de dénoncer l’éducation à la reproduction qu’on enseigne à l’école. je me pose juste une question : est-ce que l’éducation aux pratiques sexuelles doit-elle être assimiler àl’éducation sexuelle si celle-ci ne prend pas en compte la dimension relative aux orientations sexuelles ? N’ayant pas encore lu le livre, j’aimerai savoir si l’auteur a aussi posé la problématique en termes d’orientations sexuelles. Enfin, je voudrais préciser que depuis le mois de mai 2007, l’accès aux antirétroviraux au Cameroun est désormais gratuite ; le sida présenté comme un "fait total" est une expression ancienne largement utilisée dans les sciences sociales et enfin le premier sang infecté qui date de 1959 est aussi documenté dans tous les documents d’histoire sur le sida. En tout cas bravo à l’auteur. je ne peux quand même m’empêcher de me demander s’il aurait publié ce même ouvrage au Cameroun, lorsqu’on sait que certains dirigeants y sont frileux quand il s’agit de parler sans tabou de pratiques sexuelles. On l’y aurait certainement accuser de vouloir "pervertir" la jeunesse !!!
    Charles Gueboguo

  • Ce livre, à la lecture de cet article, me semble effectivement plus adapté à de grands adolescents. Avec des enfants, je crois que l’on peut amorcer le sujet sur les “modes de transmission” sans définir d’emblée toutes les pratiques sexuelles (qui ne peuvent d’ailleurs s’enfermer dans une liste fermée) – à la manière des connaissances des programmes scolaires qui sont élaborées progressivement, construites et enrichies, un peu plus chaque année. Pour ma part, mon expérience m’a montré que les enfants de la fin de l’école élémentaire (cours moyens 1 & 2) sont surtout intrigués par la question du baiser : « Comment fait-on pour embrasser ? »