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Une Grèce antique 100 % hétéro ! pour les 6e/5e

La Conspiration des dieux, de Richard Normandon

Gallimard, Folio Junior, 2009, 196 p., 5,5 €.

jeudi 11 juin 2009, par Lionel Labosse

Voici le premier tome des aventures de Phaéton, fils de Phébus, par un jeune auteur français, enseignant en lettres. Tous les ingrédients du succès sont réunis : écriture efficace, intrigue bien troussée, arrière-fond mythologique qui séduira les jeunes ; personnage de leur âge propice à l’identification, qui vainc les plus redoutables ennemis. Si le roman se déguste comme un bonbon, on s’interrogera quand même sur l’estompage trop systématique pour être fortuit, de l’homosexualité — ou plutôt la bisexualité — pourtant caractéristique de la Grèce antique. Même remarque pour une nouvelle édition 2010 des Métamorphoses d’Ovide, en Folio junior, et pour un roman historique de Christine Féret-Fleury paru en 2010 : Les Cendres de Pompéi. Quand sortirons-nous du XIXe siècle ; quand finirons-nous de présenter aux jeunes lecteurs cette vision tronquée de la civilisation gréco-romaine ?

Résumé

L’auteur brode adroitement son histoire en marge d’Ovide (Les Métamorphoses, I, 751 ; II, 34). La Pythie de Delphes est sauvagement assassinée, après avoir rendu un dernier oracle mystérieux annonçant « le réveil de l’ogre, le sang de la terre » (p. 15) ; dans le même temps, Zeus se plaint d’une « pénurie d’éclairs », qu’Héphaïstos est bien en peine de fabriquer suite à une désertion inopinée des Cyclopes. Il n’y a que neuf jours pour réagir, aussi Phébus-Apollon entreprend-il aussitôt une enquête, vainquant sa répugnance de se rendre dans l’Olympe. Heureusement son fils Phaéton saura se rendre utile, en poursuivant de son côté les recherches, avec Hermès, auprès d’un certain « Lithipe » (personnage inventé), orfèvre des dieux. Ensemble, ils découvriront une conspiration de certains Olympiens pour redonner vie aux Titans vaincus par Zeus. Cette lutte vous permettra d’assister à une nouvelle Catabase ; vous saurez tout sur les Hécatonchires, Typhon, le Notos, etc.

Mon avis

Ce roman agréable, efficace et documenté, donne des dieux grecs une image familière proche de celle qui ressort du théâtre d’Aristophane. On pense parfois à Harry Potter tant les personnages oscillent entre le plan merveilleux et le plan humain. L’humour concourt au plaisir de la lecture : les dieux sont « installés sur les poufs et les banquettes de cumulus » (p. 54). Ce roman prendra donc naturellement sa place parmi les ouvrages à recommander exploitant les thèmes de la mythologie grecque. Je ne peux pourtant que m’étonner, une fois de plus, du gommage délibéré de l’homo-bisexualité dans un livre destiné aux jeunes. Il est bien évident que chaque auteur est libre d’interpréter à sa guise une histoire empruntée à la mythologie, un mythe n’étant que « la somme de ses variantes » selon la définition célèbre de Lévi-Strauss. Mais ce roman contient un faisceau concordant d’indices d’édulcoration. Phaéton ne meurt pas à l’instar d’Ayrton Senna, suite à une sortie de route de course de char, ce qui nous enlève le plaisir de le voir pleuré par son amant Cygnus. Notre héros n’a aucun ami ; il ne fréquente que sa famille divine. L’auteur ne semble pas avoir lu L’homosexualité dans la mythologie grecque, de Bernard Sergent, ni Ovide (ni les innombrables allusions à l’amour entre hommes dans Aristophane), et son Apollon n’aurait jamais été l’amant d’Hyacinthe ou d’Hélénos, mais uniquement de femmes, qu’on se le dise ! De même, Ganymède n’a jamais été l’amant de Zeus, sa présence n’est pas mentionnée lors du banquet des Olympiens du chapitre 6 ; au contraire, Zeus « se laissait masser par deux superbes servantes » (p. 58). Les effusions sont fort viriles, même entre un homme adulte et un adolescent, bien loin à la fois des rapts rituels homosexuels et des manifestations de tendresse qui ont toujours existé entre mâles dans le bassin méditerranéen à la seule exception de la France actuelle. Cela fait sourire de lire que « Hermès dut se lever lui-même pour aller serrer chaleureusement l’avant-bras de son neveu » (p. 31), ou que l’oncle et le neveu dorment dans une chambre tant soit peu anachronique, avec deux lits pesamment et séparément préparés par Héphaïstos ! De même, Hadès « tendit une main vers son neveu pour le saluer » (p. 144). Si Déméter et Perséphone sont « étroitement enlacées » (p. 170), c’est qu’elles sont mère et fille… On sourit encore plus quand Phaéton se montre « incapable d’admettre que la vénérable déesse de l’amour se rende coupable de telles indignités » (p. 34 ; il s’agit d’une relation extraconjugale), comme s’il était un puceau surprotégé d’une famille puritaine du XIXe siècle !
Heureusement, la suite du roman, même si elle ne sort jamais d’un dixième de millimètre des rails hétéro, montrera quand même une conception de la sexualité plus conforme à ce que l’on sait des Grecs anciens ! Zeus est désireux de « séduire une jeune mortelle » (p. 37) ; et non sans quelque incohérence avec ce qui précède, Phaéton qualifiera Héphaïstos de « rétrograde » quand celui-ci le traitera d’« enfant illégitime », reprochant à Apollon de « frayer avec des mortelles » (p. 41). Aphrodite est une sorte de nympho qui « enlaçait langoureusement un esclave éthiopien qui rougissait de confusion » (p. 84). Mieux, Éos, la mère du Notos, est condamnée « à passer d’un amant à l’autre » (p. 124) ! Qu’on me dise ce qu’il faut faire pour mériter ce terrible châtiment ! Bref, espérons que les deux tomes suivants rétabliront l’équilibre… [1]

 Lire une critique sur le site unefaimdeloupalunettes.

Les métamorphoses d’Ovide, en Folio junior

Marie-Thérèse Adam procure une adaptation d’extraits de l’œuvre d’Ovide pour Folio Junior en 2010 (128 p., 5 €). Le choix des extraits est original, les passages les plus célèbres sont souvent résumés en italiques (sauf le Déluge), tandis que sont traduits des extraits peu connus (ce qui peut gêner si l’on veut étudier justement les extraits consacrés !). Mais comme pour l’ouvrage précédent, on ne trouvera pas la moindre allusion non-hétérosexuelle. Apollon et Zeus courent exclusivement — et abondamment — après les humains du sexe féminin, et l’ouvrage se clôt sur une scène torride entre Pygmalion et Galatée… Serait-il si gênant qu’en 2010, on arrive ENFIN à inclure dans un tel ouvrage pour collégiens, une légende homosexuelle, comme la belle histoire d’Hyacinthe aimé d’Apollon ? Procéder de la sorte constituerait une façon plus efficace et moins agressive de lutter contre l’homophobie que celle qui consiste à ne pas éduquer les élèves en leur apprenant que l’homosexualité existe, puis à les punir quand ils ont grandi et qu’ils profèrent des propos de rejet de l’homosexualité… En effet, contrairement aux adultes, semble-t-il, tous nos élèves ont des oreilles, et savent fort bien que nos ancêtres les Grecs ou les Romains étaient volontiers bisexuels. Dès lors, le fait de le leur cacher dans le cadre de l’enseignement ne constitue-t-il pas de la part du monde adulte, un signe que la chose est taboue, et donc, de façon indirecte, que l’homosexualité ne serait pas si acceptable que ça ?
Notons cependant les belles illustrations de Rémi Saillard, dont on avait déjà apprécié celles réalisées pour L’Épopée de Gilgamesh.

Les cendres de Pompéi, de Christine Féret-Fleury

Ce court roman qui s’inscrit dans la collection « Mon histoire », confirme notre impression. Pourtant, le cadre était alléchant, puisque pour une fois une auteure avait inscrit son roman non pas dans la mythologie, mais dans l’univers des lupanars et des thermes, dont tout visiteur de Pompéi a remarqué qu’ils sont bien mieux conservés donc sans doute aussi représentatifs de la vie quotidienne. Les odeurs d’urine et d’excréments accompagnent tout le récit (quand l’héroïne trouve refuge dans une blanchisserie utilisant l’urine comme détergent). Bref, ce cadre réaliste laissait présager que pour une fois, l’altersexualité aurait sa place. Que nenni : 100 % des personnages sont à 100 % hétérosexuels, même quand ils évoquent Priape, même dans les graffitis lus sur les murs. Et la jeune héroïne a honte de travailler pour ce lupanar, et son amant Tarvos a des pudeurs très judéo-chrétiennes ! En plus, le récit est gâché par l’acharnement (dû à la collection) de raconter à la première personne : la jeune esclave est censée confier ses pensées à des tablettes de cire, qu’elle rédige en cachette, et qu’elle trimballe dans un sac, alors qu’elle est en fuite et danger de mort du début à la fin du récit. Cela vous a un petit côté risible ! Bref, encore un coup dans l’eau, pour un roman dont on signalera quand même l’intérêt documentaire et la qualité du style et du vocabulaire. Un article du Nouvel Obs évoque une sexualité moins monolithique.

 Idem dans Hélène de Troie, de Marie Goudot, École des Loisirs, Médium, 2002, 152 p., 8,2 € : la guerre de Troie vue par Hélène. On évoque bien Achille et Patrocle, mais sans aller plus loin que « son ami », alors que l’hétérosexualité est souvent explicite.
 Dans la collection Folio Junior, une image de la Grèce moins conformiste est donnée par le court roman Championne à Olympie, de Claude Pujade-Renaud & Daniel Zimmerman.
 Pour les adultes seulement, lire un roman de Gudule, Paradis Perdu qui donne une version déjantée et fort altersexuelle de la mythologie grecque. Hélas, quand elle écrit pour les enfants sur le même sujet, Gudule elle aussi doit se plier à la censure éditoriale !
 Voir mon article sur la Grèce.
 La série de bande dessinée Murena, de Jean Dufaux & Philippe Delaby, parue à partir de 1997, offre pour le même public adolescent une image beaucoup plus altersexuelle, et donc plus véridique, de la Rome impériale.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Titanomachie sur Wikipédia


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[1Si l’auteur tombe sur ces lignes, j’espère qu’il ne les prendra pas mal, et qu’il nous fera l’honneur d’une réponse. J’aimerais par exemple savoir si c’est sur pression de l’éditeur qu’il a édulcoré son texte, ou de son propre chef !