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Courte visite à la source hellène de l’altersexualité

D’Alexis Zorba et de quelques contradictions grecques

Le carillon des cariatides tintinnabule-t-il ?

mercredi 16 juin 2010

Bizarre, trouvez-vous pas, qu’ayant visité tant de pays lointains, je n’aie pas encore mis les pieds dans ce pays d’Europe qui pourtant me fascine depuis toujours ? Dès l’âge de 10/11 ans, cours d’histoire de 6e aidant, la Grèce ne m’avait pourtant pas raté. Les mots « Cariatides de l’Érechtéion » notamment, constituaient un gimmick aussi évocateur pour moi que les « clochettes » que Graeme Allwright faisait « tintinnabuler » dans sa chanson « Petit Garçon », ou que la litanie « Ouagadougou – Tombouctou – Addis-Abeba » que nous psalmodions lors les cours de géo de ma trop sage pré-adolescence en nous hallucinant sur les courbes pluviométriques ou autres pyramides des âges. Ce carillon cariatidesque tintinnabula longtemps dans mon crâne sans que j’éprouvasse le besoin de les voir de près. Et puis, ayant vu Addis-Abeba, Ouaga et Tombouctou, voilà que je vais enfin me faire voir chez nos amis les Grecs, décidé à vérifier si oui ou non, conformément à l’idée qu’on m’en a donnée, ces bougres – ou peu s’en faut – ont refoulé leur réputation de bisexualité. Attention : je ne dis pas dans les actes, bien sûr ; à Zeus ne plaise que de si beaux spécimens humains que les hellènes ne soient pas draguables, et la réputation de Mykonos n’est plus à faire ; mais dans la parole et la reconnaissance publique. N’est-il pas étonnant qu’Amsterdam, marquée par l’austérité protestante, ait un « Homomonument », et que – à ma connaissance – il n’existe dans le berceau culturel de l’amour entre femmes ou entre hommes aucun monument ou musée du même type ?

Rêver de Grèce sans y poser les sandales

S’il est une civilisation dont le fantasme nous irrigue, c’est bien celle-ci. Si l’on en croit Bernard Sergent, Aristophane, voire Gudule, la bisexualité est à la Grèce antique ce que la b(r)aguette est à la Gaule ! Et si Alexandre le Grand chevaucha l’Amazone le temps de lui faire un gosse, il ne crachait pas sur les mignons [1]. Cela fait des générations que Le Banquet de Platon et le mythe d’Orphée font rêver les altersexuels (voir aussi la version de Joann Sfar du Banquet), et sa série Socrate le demi-chien. Et nombre de gays en alimentent leurs fantasmes de voyage d’une façon fort priapique, à l’instar du romancier Alain Meyer, qui nous offre une version réjouissante de la gayre de Troie ! Cette information, malheureusement, est refoulée dans la littérature jeunesse hexagonale, qui présente toujours à nos têtes blondes une Grèce antique 100 % hétéro. À quelques exceptions près, comme le court roman Championne à Olympie, de Claude Pujade-Renaud & Daniel Zimmerman, qui n’aborde pas la bisexualité mais interroge finement la question du genre. La bande dessinée est plus audacieuse, avec par exemple l’excellent Tirésias de Christian Rossi et Serge Le Tendre, qui peut contribuer à une éducation à la sexualité bien ordonnée, sans oublier le plus sulfureux Epoxy, de Paul Cuvelier & Jean Van Hamme. Dans le passé, les philosophes dits des Lumières comme Montesquieu, Voltaire ou Jeremy Bentham, avaient traité la question de l’origine grecque de l’amour entre hommes avec plus ou moins d’ouverture d’esprit. En ce qui concerne la Grèce moderne, il faut recommander l’Histoire d’Alban Méric (Quintett, deuxième mouvement), de Frank Giroud & Paul Gillon, 2005, qui raconte une passion pédérastique à l’antique dans un contexte de sexophobie, et nous rappelle que dans le pays d’Antigone, on est toujours prêt à se sacrifier pour sa passion. Mais quand on a tout cela en tête, comment accepter que la Grèce moderne soit autant oublieuse de ce sulfureux passé ? C’est du moins la réputation qu’on lui fait. Autant chercher la réponse dans quelques livres.

Statue funéraire d’Éphèbe
Musée archéologique du Céramique, Athènes.
© Lionel Labosse


 Un éphèbe sur une stèle, Musée archéologique du Céramique.

Géopolitique de la Grèce

Pour comprendre les enjeux politiques de la Grèce contemporaine, je conseille le petit mais touffu livre érudit de Georges Prévélakis, Géopolitique de la Grèce, Éditions Complexe, 2006. Vous en trouverez quelques citations dans cet article sur la question de l’adhésion de la Turquie à l’U.E., et dans celui sur Les lois de Platon. Les origines du conflit avec la Turquie voisine, les relations tendues avec les Balkans sont expliquées. Il faut se remettre en tête les limites anciennes de la Grèce, et comprendre la différence entre helladisme (les Grecs de Grèce) et hellénisme (les Grecs et la culture grecque partout dans le monde). L’auteur compare la situation des Grecs, ou plutôt des hellènes, à celle des juifs. Je n’avais jamais prêté attention au fait que la diaspora grecque fût aussi importante, notamment aux Etats-Unis (3,5 millions, soit 1,15 % de la population) ou au fait que dans la Liste des flottes de marine marchande, la Grèce fût la première propriétaire de navires au monde. Donc l’histoire du génocide arménien doit être complétée par celle de la « Grande catastrophe », c’est-à-dire l’échange de population organisé par le Traité de Lausanne de 1923 qui entérinait la défaite des Grecs face aux troupes de Mustapha Kemal. Mais si l’on a en tête la carte des territoires grecs voulue par le Traité de Sèvres en 1920, sans parler des cartes de l’Empire Byzantin avant la chute de Constantinople (ni celles des conquêtes d’Alexandre !), on comprend que le centre du pays n’est pas le continent, mais les îles, et que les revendications turques sur les îles et sur la mer Égée (pour la circulation des bateaux provenant de la mer Noire) enveniment les rapports entre ces deux vieux copains que sont le Turc et le Grec. On comprend aussi l’intérêt que les technocrates européens ont à vouloir intégrer contre toute logique, la Turquie à l’U.E. Les pages consacrées à la religion nous rapprochent de notre problématique. On y apprend en effet que « De la même manière, il est possible d’être athée ou même catholique, protestant ou juif et de se sentir Grec, à partir du moment où on a été imprégné par l’ambiance de l’orthodoxie en participant à la vie de tous les jours, aux célébrations… Dans la définition de la nationalité grecque, l’orthodoxie fonctionne, en fait, plus comme modèle culturel que comme dogme religieux » (p. 34). L’auteur rappelle la polémique suscitée par la décision de ne plus mentionner la religion sur les documents d’identité en 2000 (alors qu’en Turquie, ce n’est pas encore le cas en 2010). Bref, ce genre de détails nous met la puce à l’oreille.

La relève des evzones
Mais qu’y a-t-il sous la fustanelle ?

J’ai aussi lu un petit livre qui eut quelque succès au moment des J.O. : Les sept vies des chats d’Athènes, de Takis Théodoropoulos, dont j’ai causé dans l’article sur Une Vie de chat, d’Yves Navarre. S’y confirme l’idée que l’amour des garçons n’est guère mis en avant dans la biographie des philosophes antiques même quand il constitue un trait connu de leur personnalité. On peut le vérifier par la lecture d’un livre en français vendu en Grèce et destiné aux touristes : Vie amoureuse des Grecs anciens, de Sofia Souli (se trouve aussi en France). Si tous les aspects sont abordés en détail (prostitution, homosexualité et lesbianisme), l’auteure se révèle considérablement gênée par l’homosexualité, alors que la prostitution ne lui pose aucun problème. Elle s’efforce de démontrer avec des arguments alambiqués que la pédérastie est uniquement affaire d’amour intellectuel, et s’emmêle les pédales en rappelant les nombreux textes condamnant l’amour entre hommes, avant de reconnaître que s’il était tellement condamné, c’est qu’il devait exister ! Voilà une citation révélatrice : « n’ayant pas l’intention de paraître cocardiers, nous admettrons que les relations homosexuelles entre hommes […] ont de tout temps existé. […] il n’est en aucun cas possible que la Grèce soit considérée comme la patrie… de vices » (p. 78).
Allons maintenant du côté des grands classiques…

Andrée Vermeulen, née Devries et Pan
Musée national archéologique d’Athènes


 Cette photo prise par votre serviteur au Musée national archéologique d’Athènes représente la célèbre statue Aphrodite et Pan (vers 100 avant J.-C.).

Zorba le Grec : amoureux des hommes, macho et homophobe !

Alexis Zorba, roman de Nikos Kazantzaki, 1946, traduit par Yvonne Gauthier. Édition utilisée : anthologie Omnibus, 1996, 980 p.
Je n’ai jamais vu le film Zorba le Grec de Michael Cacoyannis (1964). J’ai lu avec plaisir et agacement le roman original de Nikos Kazantzaki (s’écrit avec ou sans s), très révélateur des contradictions grecques. Le narrateur, 35 ans, dont l’histoire est proche de la biographie de l’auteur, est un intellectuel socialisant que son ami traite de « souris papivore ». Ledit ami mourra au cours des opérations d’échanges de population à la frontière de la Géorgie (cf. p. 255), ce qui situe donc l’action dans les années 20, époque où l’auteur avait l’âge du narrateur. Le narrateur décide d’agir un peu, et part en Crète exploiter une mine. Sur le bateau, il est abordé et séduit par un certain Alexis Zorba, vieil aventurier et homme d’action, qu’il engage aussitôt. Alexis a tout fait, la guerre et la mine, dans plusieurs pays ; il a égorgé des hommes, tout ça pour aboutir à une philosophie désabusée : « On est tous frères. Tous de la viande pour les vers ! » (p. 199). Il cuisine, il joue du santouri, quand il est ému il danse ses émotions et communique par ce détour. Il devient contremaître et ingénieur pour le narrateur, maître à penser aussi. Celui-ci écrit un essai à propos de Bouddha, mais les réflexions de Zorba le poussent à se défaire de l’emprise de cette philosophie, et s’il continue à écrire, c’est comme un « exorcisme contre Bouddha » (p. 140). Zorba lui reproche ses idées socialistes, lui conseille de se faire craindre de ses ouvriers. Mais un jour, voyant les ouvriers danser au son du santouri de Zorba : « Le voilà, pensai-je, le vrai filon que je cherchais. Je n’en veux pas d’autre » (p. 161). Phrase lourde de non-dits homoérotiques, sans doute !

Statue funéraire représentant un jeune esclave et un chien pleurant leur maître.
Musée national archéologique d’Athènes.


 Détail d’une des plus belles stèles funéraires du Musée national archéologique d’Athènes : enfant esclave et chien pleurant leur jeune maître.

Dans le domaine amoureux, les conceptions de Zorba sont à un détail près très altersexuelles à la mode antique : les femmes sont là pour les hommes, et c’est commettre un péché que de ne pas leur faire l’amour, les pauvresses ! On est bien sûr dans la droite ligne de Lysistrata, d’Aristophane. Il apprécie particulièrement les veuves, mais ne dédaigne pas les jeunes ; le nec plus ultra étant les jeunes veuves ! Il a été traumatisé par le souvenir de sa grand-mère, qui se faisait toujours belle à 80 ans et reluquait les beaux gosses, et à qui il avait dit qu’elle « sentait le cadavre ». La pauvre en était morte de chagrin (p. 47). Le mariage n’est pas trop son truc, et en vrai Don Juan, il a commis la « Grande Bêtise », se marier, « trois mille fois » ! (p. 76). À part ça, ces femelles l’emmerdent, et il préfère en bon oriental, tout comme le narrateur, l’amitié avec les hommes. C’est là que le bât blesse, car pour ne pas passer pour « sodomite » comme ses ancêtres, il convient de cracher sur iceux, voire de les incendier au sens propre. Le point culminant du roman est une visite à un monastère au sommet d’une colline. Il s’agit d’obtenir une concession pour l’exploitation de la forêt. Or ils tombent sur un moine âgé qui a une relation avec un « beau novice », ou « jeune moine ». Zorba est dégoûté : « Dis donc, qu’est-ce que c’est que ces types-là ? Ni hommes, ni femmes, des mulets. Pouah ! qu’ils aillent se faire pendre » (p. 173). Il évoque « Sodome et Gomorrhe », puis plaisante : « Regarde-les donc se mordre l’une l’autre ». Le narrateur reprend « en riant » : « L’un l’autre », mais Zorba persiste, et échafaude un plan diabolique pour pousser un moine chassé du monastère à se venger en l’incendiant sous prétexte de cette relation entre deux hommes. Le narrateur laisse faire, et n’informera même pas le lecteur sur le nombre de victimes, ce en quoi on peut affirmer que l’ensemble du roman transmet un message homophobe : la philosophie débonnaire énoncée ci-dessus ne semble excepter que les « sodomites » !

Homosexualité refoulée

Cela ne va pas sans contradiction, puisque le narrateur surtout, mais aussi Zorba, sont en réalité très homophiles dans leurs goûts et leurs fréquentations, comme en témoigne cet extrait : « Une icône de Saint-Bacchus, que j’avais contemplée dans l’église, avait fait déborder mon cœur de bonheur. Tout ce qui m’émeut le plus profondément : l’unité dans le désir, la suite dans l’effort, se découvrit à nouveau devant moi. Bénie soit cette gracieuse petite icône de l’éphèbe chrétien avec ses cheveux bouclés tombant autour de son front comme des grappes noires. Dionysos, le beau dieu du vin et de l’extase, et saint Bacchus se mêlaient en moi, prenaient le même visage. Sous les feuilles de vigne et sous la robe de moine, palpitait le même corps frémissant, brûlé de soleil — la Grèce » (p. 176). En plein monastère de « sodomites », et alors même qu’il se rend complice d’un crime homophobe, le narrateur n’est-il pas au cœur de la contradiction de l’âme grecque moderne, qui tue le père dans un meurtre totémique du bouc-émissaire ? [2] Malgré les exhortations de Zorba et les avances d’une veuve, il finira par faire l’amour avec elle une seule fois à la page 208, avant qu’elle ne soit assassinée en victime expiatoire par les villageois dans une scène frappante, sous ses yeux impuissants… et devinez quel Orphée menait à la lyre la fête villageoise ? « un robuste éphèbe brun d’environ vingt ans » (p. 212) ! Si on n’a pas là une démonstration en bonne et due forme de la démonstration freudienne du refoulement de l’homosexualité, je veux bien qu’on me les coupe !

Monastère de la Transfiguration (Grand Météore).
© Lionel Labosse


 Un monastère comme celui que le brave Zorba fait incendier, pour punir les sodomites et tous les moines dans le même paquet ! L’atmosphère des monastères orthodoxes, les crosses et les peintures, les robes noires des popes, tout cela relie mes trois derniers voyages, en Arménie, en Éthiopie et en Grèce…

En dépit de ses qualités littéraires, ce n’est donc pas particulièrement un roman à proposer à nos élèves, car il est trop daté, et sa morale est désespéramment patriarcale, machiste et homophobe. Mais n’aide-t-il pas à comprendre l’âme grecque ? Avec son santouri, Zorba n’est-il pas la réincarnation de l’aède, d’Orphée à la lyre ? La danse, le chant, la poésie permettent d’évoquer tout le monde vivant. C’est l’évocation des anciens amants de la pauvre Hortense, la vieille amante de Zorba (p. 142), ou ce sont des éléments de la nature. Ce n’est pas par hasard que le dernier mot du roman est : « santouri ». Je glisse ici la photo d’une statue qui m’a bouleversé au Musée national archéologique d’Athènes. Dans la section consacrée à l’art cycladique, il s’agit d’un joueur de lyre, des centaines d’années avant le mythe d’Orphée !

Statue d’art cycladique : joueur de lyre.
Musée national archéologique d’Athènes.

Quelques citations.
 Zorba raconte qu’il s’est coupé la moitié du petit doigt qui le gênait pour travailler. Le narrateur évoque un ascète qui s’est émasculé, mais Zorba proteste : « ça » est la clé du paradis ; le couper est idiot (p. 22).
 « Assurément, ce n’était plus cette vieille momifiée et maquillée à outrance qu’il voyait devant lui, mais toute la « gent femelle », comme il avait coutume d’appeler la femme. L’individualité disparaissait, le visage s’effaçait. Jeune ou décrépite, belle ou laide, ce n’était plus là que variantes sans importance. Derrière chaque femme se dressait, austère, sacré, plein de mystère, le visage d’Aphrodite » (p. 43).
 Tradition de l’hospitalité, qui permet de voyager par les récits des hôtes, sans quitter son île. On se dispute l’honneur d’accueillir l’étranger, dans le droit fil du mythe de Philémon et Baucis (pp. 31 & 50).
 « Si je pouvais prendre une éponge et effacer tout ce que j’ai appris […] et puis entrer à l’école de Zorba et commencer le grand, le vrai alphabet ! […] J’exercerais parfaitement mes cinq sens, ma peau tout entière, pour qu’elle jouisse et comprenne. […] Je remplirais ma chair d’âme. Je réconcilierais en moi, enfin, ces deux ennemis séculaires… » (p. 71).
 « La femme, c’est une source fraîche : on se penche, on voit son visage et on boit, on boit et on a les os qui craquent. Puis, il y en a un autre qui vient et qui a soif lui aussi : il se penche, il voit son visage et il boit. Puis encore un autre… La femme, c’est une source, je t’assure. » (p. 79). Voir aussi l’incroyable récit d’un mariage de Zorba quelque part en Russie, qui se termine en partouze : « Les hommes et les femmes, pêle-mêle, roulaient par terre » (p. 82).
 « La femme c’est quelque chose d’autre, ce n’est pas un humain ! » (p. 83).
 « C’est un être humain comme nous autres – et pire ! Quand elle voit ton porte-monnaie, elle a le vertige, elle se colle à toi, elle perd sa liberté et elle est ravie de la perdre, parce que tu vois, derrière, il y a le porte-monnaie qui brille. » (p. 159).
 « Si une femme couche toute seule, c’est notre faute à nous, les hommes. […] Dieu pardonne tous les péchés […] mais ce péché-là, il ne le pardonne pas. Malheur à l’homme qui pouvait coucher avec une femme et qui ne l’a pas fait ! patron. Malheur à la femme qui pouvait coucher avec un homme et qui ne l’a pas fait ! » (p. 99).
 « elles sont bien utiles, les pauvrettes […] quand l’homme n’a pas un travail d’homme à faire : extraire du charbon, prendre des villes d’assaut, parler au bon Dieu » (p. 167).
 Scène de la mort d’Hortense, la compagne de Zorba (p. 229). Étant sans famille connue, ses biens sont razziés par le village entier, et les pleureuses se mêlent à la curée en lui demandant de hâter sa mort. Scène terrible, quelques pages avant l’assassinat de l’autre femme, la veuve !
 Adieux de Zorba au narrateur : « Patron, cria-t-il, j’ai beaucoup de choses à te dire, je n’ai jamais aimé personne comme je t’aime » […] Zorba se jeta sur moi, me prit dans ses bras et se mit à m’embrasser. […] Nous tordant de rire, nous luttâmes longtemps en jouant sur les galets. Puis, nous laissant tomber à terre tous deux, allongés sur le gravier, nous nous endormîmes, enlacés. » (p. 253). Ça valait bien le coup d’assassiner quelques méchants moines « sodomites », non ?
 « Nous construirons un monastère à nous, sans dieu, sans diable, avec des hommes libres ; et toi, Zorba, tu seras à la porte, tenant les grosses clés, comme Saint-Pierre, pour ouvrir et fermer… » (p. 259). Eh oui, l’intolérance religieuse a bon dos…
 « j’ai été obligé de me marier », écrit Zorba quelque temps avant de mourir, et il ajoute : « Celle-ci s’appelle Liouba ». Il écrit au dos d’une photo : « Moi, Zorba, et l’affaire interminable, la femme ; cette fois-ci, elle s’appelle Liouba. » (p. 264).

 Le Colosse de Maroussi, d’Henry Miller, a-t-il inspiré Zorba ? Paru en 1941, ce récit de voyage à travers la Grèce transpire de la même foi en la transe vitale, par-delà les masques de la culture livresque. Miller y brille par sa mauvaise foi et ses provocations gratuites. Le « Colosse », qui préfigure Zorba, c’est son ami Georges Katsimbalis, critique littéraire et personnage truculent, démiurgique. Dans ce livre, il s’amuse à traiter les écrivains anglais de « bande de merdes onctueuses » (p. 141, éd. Livre de Poche). Cependant, quand un maquereau Grec lui propose une femme, puis des jeunes garçons (p. 242), cela ne suscite en lui aucune posture homophobe ; et il ne fait aucune allusion à l’homosexualité dans l’ouvrage. On s’amuse de ses prophéties pour le moins gratuites : « Une Grèce revigorée pourrait très bien changer les destinées entières de l’Europe » (p. 68) ; « Il faut que le monde redevienne petit, comme le monde grec autrefois. Assez petit pour inclure chacun de nous » (p. 309). On peut lire dans La Force de l’âge de Simone de Beauvoir, un récit en contrepoint d’un voyage en Grèce quelques années auparavant, dont elle décrit la misère et les beautés, et qu’elle signale comme une destination pour « intellectuels peu fortunés » (éd. Folio, p. 345), ce qui est aussi le cas chez Miller.
 La Naissance de la tragédie, de Friedrich Nietzsche (1872) parle aussi de la Grèce antique.

Musée d’art cycladique.
Espace pédagogique.

Pour terminer sur une bonne impression, voici une photo prise au Musée d’art cycladique d’Athènes. L’espace pédagogique au dernier étage n’a pas peur de montrer des photos d’enfants ou de jeunes hommes nus pour illustrer la vie quotidienne.

 En 2020 nouvel article à l’occasion d’une randonnée crétoise.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Citations d’Alexis Zorba sur Wikiquote


© altersexualite.com, 2010.
Photos et photo de vignette : © Lionel Labosse. Reproduction interdite.


[1De même, Hérodote s’étend peu sur les mœurs dites grecques, pas plus que sur l’hétérosexualité, mais les évoque au détour d’une phrase.

[2L’auteur transmettait-il un message codé, car Saint-Bacchus est connu depuis le Moyen Âge pour être avec Saint-Serge le prototype du couple d’hommes célébré par l’Église. Voir cet article.