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Zarma, la Grecque !

Paradis Perdu, de Gudule

Éditions Mic Mac, 2010, 274 p., 18,5 €

mercredi 9 juin 2010

« Du temps que régnait le Grand Pan / Les dieux protégeaient les ivrognes », disait Georges Brassens. Paradis Perdu est une saillie potache de l’amie Gudule, qui, dans la veine de Brassens, s’efforce de réhabiliter le paganisme à la grecque en l’opposant au triste christianisme. On s’amuse beaucoup à suivre les pérégrinations post mortem de l’héroïne dans cet Olympe de carton-pâte, même si certains de nos lecteurs préféreraient être dans la peau de l’ange qui va la rechercher et apprécie sans façons le priapisme des autochtones, où la feuille de vigne est remplacée par la feuille de rose — ou feuille de vit !

Andrée Vandermeulen, née Devries, a bien de la chance : décédée à 64 ans, au terme d’une vie édifiante toute de dévouement à son mari et à ses enfants (parmi lesquels la narratrice), confite en dévotion, la voici, suite à une erreur d’aiguillage, plongée en plein Olympe, et accueillie par « un satyre cornu, velu, membru et foutrement langu » (p. 8) qu’elle prend pour le démon. Heureusement, Artémis soi-même sauve la malheureuse d’un viol assuré, et c’est le début d’un road movie, prétexte pour Gudule à revisiter la mythologie gréco-romaine. Dans ce péplum spaghetti, on a droit à une catabase où Ulysse est affublé d’une « rigidité cadavérique » (p. 45) et où les enfants morts en bas âge hantent les enfers sous forme de « blattes ». Le chant d’Orphée atteint une éloquence toute gudulienne : « Tel un loup en rut, je hurle ton nom à la lune » (p. 57), tandis que Silène délivre un hymne jouisseur à la vie, et fait boire à son invitée un vin dont la pauvre — quel gâchis diront certains œnurologues du Marais ! — s’apercevra trop tard qu’il coule d’un robinet qui n’est pas de bois. Le sphinx est victime d’une devinette Apéricube, dans le plus pur style Monty Python (p. 131), et Héraclès, tout en muscle, se révèle transgenre avant la lettre (et nymphomane) en confession publique [1], tandis que le discours chrétien d’Andrée sur les trans fait un flop, car personne ne comprend qu’elle cherche à justifier ce que nul ne songerait à condamner ! Le paradis chrétien se révèle un enfer capitaliste, à structure pyramidale, que l’héroïne cherchera aussitôt à fuir, bien que le paysage ne lui déplaise pas.

Andrée Vermeulen, née Devries et Pan
Musée national archéologique d’Athènes


 Cette photo prise par votre serviteur au Musée national archéologique d’Athènes représente la célèbre statue Andrée Vermeulen, née Devries et Pan (vers 100 avant J. C.), et confirme la révélation gudulienne d’une catabase oubliée des Anciens !

Le jeu consiste évidemment à fissurer (on voudrait dire « biturer » !) les principes, notamment sexuels, moralement et chrétiennement irréprochables de la brave Andrée, pour l’amener à critiquer les vérités révélées, jusqu’au blasphème absolu (cf. p. 234). Cela commence par accéder à la prière d’Ulysse de lui montrer son cul pour le faire « débander », et cela culmine avec le « Big Bang » lesbien que constitue la découverte en compagnie de la reine des Amazones d’« une libido que quelque quarante ans de coït conjugal n’avaient su éveiller » (p. 161). Gudule ne recule pas devant les difficultés, et met son héroïne face à l’apologie du viol (p. 81) et de la pédophilie (p. 165), voire de la « parthénogenèse » (p. 174) dans laquelle on pourrait lire en filigrane une critique des abus de l’homoparentalité dans sa version antiphallique ; d’ailleurs la chute prouvera que le paradis hédoniste s’il existe est plus une conciliation du chrétien et du païen que l’acceptation sans critique d’une sexualité qui relève de la catharsis et du fantasme plus que de la réalité. Ce paradis tel qu’il est décrit rappelle davantage la verte Ardenne que la Mésopotamie dans laquelle a été imaginé le concept de paradis.

Mon avis

La lecture de Paradis Perdu constitue un moment de franche rigolade, même si ce n’est pas le meilleur Gudule qui me soit tombé entre les mains. Peut-être suis-je un peu trop familier de la mythologie grecque et sourcilleux dès qu’on l’écorne (et oui, j’ai les larmes aux yeux quand je relis Orphée version Ovide, que voulez-vous !) L’incroyable micmac de l’éditeur du même nom n’arrange pas les choses. J’ai rarement relevé un tel festival de coquilles et autres erreurs qui gâchent considérablement le plaisir du lecteur aussi à cheval sur la langue qu’Éros l’est sur les nymphes. Je n’en citerai qu’une amusante, qui est peut-être volontaire d’ailleurs, mais il y en a des truellées, comme si le manuscrit avait été publié tel quel sans travail éditorial ni relecture. Il s’agit de « Chronos » dévorant ses enfants : « Seul Zeus en a réchappé, parce que sa mère avait mis une gosse pierre à sa place » (p. 95) [2]. Les puristes reprocheront la confusion — traditionnelle, il est vrai — de Chronos avec Cronos. Et puis comme dirait ma tante Hal, quand on a l’eau à la bouche, il est dommage de l’éloigner : « Ne comptez pas sur moi pour vous décrire ce qu’ils y virent, nous ne sommes pas dans un roman porno » (p. 204). Plût aux dieux ! Restons sur le meilleur moment, la rencontre de Mémoire par Andrée et le vertige qui s’ensuit, car Mémoire prend l’aspect de qui la rencontre, et lui permet de replonger dans son passé. On quitte alors la mythologie païenne pour les obsessions familières aux fans des thrillers de la dame.

 Lire l’entrevue de Gudule et ses autres romans pour adultes : Les filles mortes se ramassent au scalpel, Le Club des petites filles mortes, La ménopause des fées. Le chant des Lunes, recueil publié en collection jeunesse mais à mon avis aussi bien destiné aux adultes, contient une nouvelle intitulée « Enfer-sur-Meuse » qui répond étrangement à celle-ci, puisque la narratrice y retrouve sa mère dans son paradis, qui pour elle est un enfer…

 Je conseille aux amateurs de péplum porno l’excellent roman La mémoire des pierres, d’Alain Meyer. Et pour ceux qui préfèrent une littérature plus pudique, Gudule me signale l’existence de Les mémoires de Zeus de Maurice Druon. Enfin, le roman de Gudule rappelle la BD fameuse et sulfureuse Epoxy, de Paul Cuvelier & Jean Van Hamme. Voir enfin mon article sur la Grèce.

« Mort aux cons »

Profitons de cet article pour saluer le cadavre encore chaud de Siné Hebdo. C’en est fini de cette belle aventure. La page centrale de l’ultime numéro (n° 86, 28 avril 2010) propose des photos provocatrices de 111 collaborateurs du magazine — sauf Michel Onfray — tendant un doigt, parmi lesquels Gudule et ses potes (Bernard Joubert, Jean-Pierre Bouyxou, Noël Godin, Carali, etc.). Hélas, la provocation n’est plus ce qu’elle était : naguère, ils se seraient torché le cul avec le drapeau national, en hommage à Guilherme qui s’est maculé de merde pour ne pas être expulsé comme un étron par la Rance — pardon, la France. Mais non, dans notre époque fascisante, on ne peut plus exprimer une indignation disons œdipienne contre sa Patrie, donc son Père, sans que les larves de l’honneur national ne bavent leur indignation hypocrite et liberticide, indignation qu’ils se gardent d’exprimer quand la patrie — par politicards interposés — macule de merde le citoyen — nous macule de merde. Aujourd’hui, Marianne Sergent et Maxime Le Forestier seraient condamnés pour avoir chanté « J’m’en fous de la France »… une chanson bien oubliée, dont on ne trouve plus le texte que sur un site… italien ! Il est vrai qu’à l’époque, quand c’était des « Français de souche » qui critiquaient la patrie, ça passait, c’était « de gauche », mais maintenant que ces révoltés sont des rebeus, et qu’ils sifflent la Marseillaise comme les gauchos le faisaient dans les années 70, ça fait pas bien, et les anciens gauchos qui ont tourné leur veste se drapent dans la moire de leur indignation [3]. On leur reproche de ne pas être « intégrés », parce que maintenant, être « intégré », ça signifie être de droite. Comme dit Siné : « Mort aux cons » !
Réveille-toi, George Orwell, ils sont devenus mous !

Lionel Labosse


Voir en ligne : Site officiel de Gudule


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Portfolio


[1Transgenre et non transsexuelle, car rien n’indique que le héros ait renoncé à son phallus pour se vivre au féminin, de même que l’ange qui ne se triture pas la cervelle avant de s’adonner à une sorte de gang bang dans l’Olympe et de déclarer ingénument : « tu verrais mon fion » (p. 214) ! On dirait que Gudule a approfondi la question du « simulacre » (voir cet article).

[2On trouve aussi dans le genre la citation d’un vers hugolien : « L’œil était dans la tombe et regardait Caën » (p. 137) dont on se demande si c’est un jeu de mots ou une coquille !

[3Voir sur le site de Graeme Allwright, un appel de ce chanteur d’origine étrangère aussi, à changer les paroles de la Marseillaise et une protestation contre les lois qui tentent de sacraliser toutes ces babioles.