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« Orientation Sexuelle, Éducation, Jeunesse…

Conférence à Toulouse le 18 mai 2010

…Vers un meilleur respect de soi et des autres »

mercredi 30 juin 2010

L’association altersexuelle Arc-en-ciel Toulouse a organisé le 18 mai 2010 une conférence à la médiathèque José Cabanis, dans le cadre de la 5e Journée mondiale de lutte contre l’homophobie. Didier Genty, l’organisateur, m’avait invité, en tant qu’auteur de L’année de l’orientation, et enseignant spécialiste des ressources pédagogiques permettant de promouvoir la diversité sexuelle, notamment la littérature. Le débat était animé par Élisabeth Pesquet, sexologue et membre d’Arc en ciel. Nous avons débattu avec le public, en compagnie de deux auteurs d’ouvrages récents, Élisabeth Thorens-Gaud, auteure de Adolescents homosexuels – Des préjugés à l’acceptation, Favre, 2009, qui a créé l’association Mosaïc info en Suisse romande, et Brahim Nait-Balk, auteur de Un homo dans la cité, Calmann-Lévy, 2009, et animateur de l’émission Homomicro sur Fréquence Paris Plurielle (106.3 FM) (une des rares radios libres de pub en Île-de-France). Voici mon intervention, non pas telle que je l’ai prononcée, mais enrichie des réflexions suscitées par le débat. Je suis très content de cette conférence, car outre l’accueil et la gentillesse de tous les bénévoles, les débats avec les intervenants et le public m’ont permis de progresser dans ma réflexion. L’après-midi a été diffusé le fameux documentaire It’s elementary, qui date de 1996. Je le connaissais déjà, mais j’avais oublié qu’il constituerait un excellent film pour étudier en classe, par exemple en classe de seconde sur le thème de l’éducation dans le cadre de l’argumentation, et non pas seulement pour les enseignants.

1. Présentation : enseignant, un peu militant, écrivain

 Enseignant : prof de français depuis 1990, en collège puis en lycée, depuis 14 ans en Seine-Saint-Denis, depuis 5 ans dans un lycée classé « APV » (sigle politiquement correct pour « Affectation à caractère prioritaire justifiant une valorisation »). Samedi dernier, j’ai pu y constater que les affiches contre l’homophobie apposées par des lycéens militants de la FIDL avaient été déchirées et jonchaient le sol (alors que plusieurs de nos lycéens font partie de la FIDL). Pourtant, certains élèves n’hésitent pas à s’affirmer gays, à faire leur coming-out, sans que cela, à ma connaissance, pose de problèmes particuliers. Il semble y avoir à la fois incompréhension et relative « tolérance ». Je n’ai pour ma part aucune gêne à évoquer la diversité sexuelle en cours ; sans que j’aie jamais eu à l’affirmer, mon altersexualité est connue, car je publie depuis des années sous mon nom, et les élèves, d’année en année, se transmettent les informations sur les profs vaguement médiatisés ; je n’ai jamais remarqué d’hostilité spécifique à mon égard relative à mon orientation sexuelle ou à mon militantisme en ce domaine. J’éprouve juste une lassitude à me sentir un peu seul au sein de cet établissement dans ce devoir éducatif nécessaire.
 Depuis 2005, j’ai créé la rubrique littérature jeunesse pour le collectif Homoedu, décentralisée depuis 2007 sur le site altersexualite.com. Plus de 300 articles à ce jour. Pour me joindre – me convier à une conférence comme celle-ci par exemple – on clique sur mon nom, juste en dessous du titre de l’article (ci-dessus).
 Publication de ressources pédagogiques diverses en collège et lycée, expérimentées pour la plupart in situ. Mise à disposition sur altersexualite.com. Témoignage en mai 2005 dans une entrevue publiée dans le cadre du dossier « sexe et école » du Monde de l’Éducation.
 En 2003, publication de L’année de l’orientation, Éditions Publibook, roman à partir de la 4e & adultes.
 En 2007, Karim & Julien, Publibook, roman lycée & adultes.
Ces deux romans épistolaires sont la suite l’un de l’autre. Deux ados s’écrivent et se font part de leurs réflexions sur la société et sur la vie familiale et leur vie amoureuse. Le premier tome se passe en classe de 3e, le second en terminale. Dans le premier tome, les deux garçons n’en sont pas au stade de la sexualité génitale ; dans le 2e, ils vivent diverses expériences chacun de son côté. Je me suis donc conformé à une sorte de convenance implicite de l’Éducation nationale…
 En 2005, Altersexualité, Éducation et Censure, Publibook, essai.
 En 2010, création d’une maison d’édition « À POIL » (Un premier livre pour adultes, dont il ne sera pas question dans la conférence).

2. « Altersexualité », tentative de définition

Voir cet article. Le mot, que j’ai créé, mais qui avait déjà été inventé par d’autres au Québec dès 2003, a pour moi deux sens. Premièrement, ensemble des « personnes dont la sexualité est autre qu’exclusivement hétérosexuelle », alternative au sigle à rallonge « LGBTQI… », utilisable aussi comme adjectif. Il permet d’agréger les hétéros qui militent avec les altersexuels au sein d’associations comme l’Association Contact, les enfants de parents dont l’un n’est pas exclusivement hétéro, etc. Deuxièmement, sens pus large, avec une connotation « alter » : toute conception qui envisage la sexualité sous un autre angle que la reproduction. Il s’oppose à « Orthosexuel », autre néologisme. La récente exposition consacrée aux Mochica au musée du Quai Branly est un bon exemple de ce 2e sens.

3. Historique et présentation du Collectif HomoEdu.

 Grandeur et décadence de la première association d’enseignants : AGLAE : « Amicale Gay et Lesbienne Autonome des Enseignants » (1996/2000). Texte fondateur : « Aglaé n’entend pas enseigner l’homosexualité à l’école mais faire aborder l’homosexualité dans les programmes scolaires et les manuels scolaires, là où elle est passée sous silence, au seul titre du tabou social. Aglaé souhaite que les « Chapitres oubliés » volontairement occultés apparaissent dans les programmes d’enseignement des matières concernées ; qu’il s’agisse de l’histoire, de l’éducation civique, des cours de science de la vie et de la terre, des leçons de littérature… L’inscription de l’homosexualité dans les manuels scolaires est d’une grande importance, ceux-ci circulent aussi dans les familles, auprès des autres frères et sœurs, cousins, et parents. Ils sont, par le message qu’ils délivrent, toujours susceptibles de faire évoluer les mentalités vers une banalisation de l’homosexualité et de la bisexualité, ultime objectif d’Aglaé . »
On constate à la lecture de ce texte que dès l’origine, notre conviction était qu’il s’agissait moins de protéger ou défendre quelques individus homos ou trans d’une meute potentiellement homophobe (ce qui était aussi nécessaire, bien entendu), que d’éduquer tous les élèves à la diversité sexuelle.
Le « détail » manquant était la question de l’identité de genre. Le combat aurait été impossible à l’époque. Dès les tout premiers jours de mon travail sur la littérature jeunesse en 2005, j’ai intégré la question transgenre à mon questionnement. Voir cet article par exemple.
 Sur les difficultés qui expliquent le sabordage d’Aglae et les difficultés de militer dans ce domaine, la question de l’hystérie anti-pédophile de ces années-là doit être – c’est un point de vue personnel – prise en compte. Lire l’ouvrage essentiel de Marie-Monique Robin : L’école du soupçon, Les dérives de la lutte contre la pédophilie , La Découverte, 2006. Nous avions dans cette association des collègues victimes de fausses allégations de pédophilie, et dans le contexte néo-pétainiste de l’époque, il était inenvisageable, pour la plupart d’entre nous, de défendre leur cause. Les collègues, à plus forte raison les professeurs des écoles, craignaient, et craignent toujours à juste titre, l’amalgame pédophilie / homosexualité, et peu d’entre nous acceptaient de rendre leur nom public. Ce n’est pas la seule raison de la cessation d’activités de l’association, bien sûr, mais à mon avis la plus importante. Serait-il souhaitable qu’une nouvelle association se crée ? Sans doute, même si personnellement je n’en éprouve pas vraiment le besoin. Il se trouve que les profs noyautent déjà la plupart des autres associations – comme Arc-en-ciel !
 Philippe Clauzard, fondateur et créateur du Collectif HomoEdu, a publié : Conversations sur l’homophobie, L’Harmattan, 2002, puis Conversations sur le sexisme, L’Harmattan, 2010, dans la collection « Sexualité humaine ».

4. L’éducation nationale et la diversité sexuelle en France

Voir cet article.

5. Comment aborder les questions altersexuelles auprès des élèves de tous âges.

- Réflexion sur le titre de la conférence : « Orientation Sexuelle, Éducation, Jeunesse ; Vers un meilleur respect de soi et des autres ». On peut se réjouir de l’absence du mot « homophobie » dans le titre. Sur le choix du mot « Jeunesse » au lieu d’« enfance », la même question se pose en « LEJ » (littérature d’enfance et de jeunesse) : littérature « jeunesse » ou « pour enfants » (étymologie : « infans », « qui ne parle pas »). Le mot « Orientation » est à l’origine de ma__réflexion qui a entraîné la rédaction de L’année de l’orientation : on parle aux élèves d’orientation professionnelle à l’âge où ce qui les préoccupe est leur orientation sexuelle.
 Répondre ou précéder les questions ? Voir « Journal de bord d’un itinéraire de découverte ». Expérimentation au collège en 2004/2005. Anecdote sur le psychologue qui lors d’un stage « Collège au Cinéma » avait dit que les questions des élèves sur l’homosexualité devaient être traitées à part, en dehors de la classe ! En va-t-il de même des confidences du prof ? Citons à nouveau un alinéa étonnant de la circulaire de 2003 : « Les séances d’éducation à la sexualité peuvent être l’occasion de susciter chez certains élèves des questionnements d’ordre privé ou encore de révéler des difficultés personnelles. Celles-ci ne doivent pas être traitées dans un cadre collectif mais relèvent d’une prise en compte individuelle de l’élève et d’une relation d’aide qui, dans les écoles et les établissements scolaires, peut s’appuyer sur tout adulte de la communauté scolaire susceptible d’apporter une écoute et d’être un relais, et plus particulièrement sur les compétences spécifiques des personnels de santé et sociaux. » Quelles peuvent bien être ces « difficultés personnelles » pour qu’on ait tenu à affirmer ici cette évidence qui relève tout simplement du secret professionnel ?
 Le prosélytisme, mais de qui ? Sphère privée ≠ sphère publique ?_Voir l’affaire Delanoë / Sarkozy : « Me suis-je affiché dans la presse people avec un compagnon ? Je suis en réalité d’une grande pudeur dès qu’il s’agit de ma vie personnelle. Peut-on en dire autant de Nicolas Sarkozy ? […] Comment interpréter cette étonnante formulation : « dois-je confesser mon hétérosexualité » ? Nicolas Sarkozy, vous passez votre temps non à « confesser », mais à afficher votre hétérosexualité – nul ne peut vous en contester le droit – au long des multiples reportages sur votre vie familiale complaisamment exposée aux médias. » (Bertrand Delanoë, La vie, passionnément, Robert Laffont, 2004), cité dans ce livre.
 En conclusion, il serait temps de substituer dans le cadre de l’éducation à la sexualité, au « Contre » (l’homophobie, le sexisme, le machisme, le suicide, les grossesses précoces non désirées, les IST ou le sida, la violence et l’exploitation sexuelle, la pornographie…) le « pour » (l’éducation à la diversité sexuelle, la jouissance, le plaisir, l’appropriation de son corps…).
 On trouvera des idées pédagogiques dans cet article.

6. Pédagogie. L’exemple de la civilisation grecque ancienne ; histoire et français.

Ce sujet est abordé à tous les âges, mais notamment en 6e, il est donc problématique selon la doxa ministérielle selon laquelle il serait « prématuré d’aborder l’homosexualité » au collège ou en primaire. Faudrait-il donc mentir ? Voici quelques ouvrages pour réfléchir à un certain « négationnisme » (le mot est fort). La fin de ce tabou serait une façon plus efficace et moins agressive de lutter contre l’homophobie que celle qui consiste à ne pas éduquer les élèves en leur apprenant que l’homosexualité existe sous prétexte que ce serait « prématuré », puis à brandir une loi répressive quand ils ont grandi et qu’ils profèrent des propos de rejet de l’homosexualité… Tous nos élèves ont des oreilles, et savent fort bien que nos ancêtres les Grecs étaient volontiers bisexuels. Il suffit d’aborder la question en cours pour que la remarque fuse d’un rang. Dès lors, le fait de le leur cacher dans le cadre de l’enseignement ne constitue-t-il pas un signe que la chose est taboue, et donc, de façon indirecte, un signe des adultes que l’homosexualité n’est pas si acceptable que ça ?
 La conspiration des dieux, de Richard Normandon, Gallimard, Folio Junior, 2009 : un excellent roman, mais qui présente une mythologie 100 % hétéro, de même que la version 2010 des Métamorphoses d’Ovide en Folio junior. On se demande jusqu’à quand les grands éditeurs vont maintenir ce tabou !
 En bande dessinée, au contraire, Tirésias (2 volumes) de Christian Rossi & Serge Le Tendre, Casterman, 2001, propose une conception altersexuelle de la Grèce antique, et une évocation de la sexualité propice à l’éducation, de même que la version du Banquet de Platon illustrée par Joann Sfar, Bréal, 2003 (pour les lycées).
 Voici par exemple une séance pédagogique au lycée : un texte de Jeremy Bentham, Défense de la liberté sexuelle ; « Délits contre soi-même » (1785), avec un questionnaire de lecture analytique. Texte intéressant car le mot « homosexuel » n’existait pas, et si Bentham utilise des insultes homophobes, c’est pour en appeler à l’indulgence.

7. Littérature jeunesse : transcender l’alternative privé / public

La littérature jeunesse permet de transcender l’alternative privé / public en créant un cadre pour l’expression de l’émotion. Elle constitue un support idéal pour éviter le rapport trop frontal avec les élèves, lorsque le prof délivre des injonctions qui ressemblent à une leçon de morale. Il faut privilégier le triangle pédagogique.
 Création du label « Isidor » en 2006 : 124 livres à ce jour en bénéficient.

Label Isidor HomoEdu


Quelques exemples parmi d’autres de bons livres pour les jeunes et pour les adultes. On peut bien sûr consulter notre sélection complète, et faire acheter ces ouvrages aux CDI et aux médiathèques.
 Les voisins du 109, de Coyote et Nini Bombardier (BD), 2006 / 2008. Une vision très informée des questions altersexuelles, par un auteur toulousain. J’ai un projet de brochure éducative pour les jeunes, à partir de l’épisode qui se termine par l’image p. 42 du Tome 1 reproduite dans l’article…avis aux associations.
 Papa porte une robe, de Piotr Barsony, Bumcello & Maya, Seuil jeunesse, 2004. Un album pour les petits niveaux qui démontre l’inanité de la conception selon laquelle il serait « prématuré » d’aborder « ces questions » !
 Mehdi met du rouge à lèvres, de David Dumortier, Cheyne, 2006. Un poème pour les petites classes qui pose fort bien le problème de l’homophobie.
 La bande de Beck, de Carrie Mac, Actes Sud junior, 2004 propose pour les lycées une réflexion sur les phénomènes de boucs émissaires.
 Automates, de Nathalie Le Gendre, Mango, Autres Mondes, 2005. Un roman de science-fiction qui pulvérise les préjugés sexistes et l’homophobie.
 Athènes autrefois puissante, de Marie-Sophie Vermot, École des Loisirs, Médium, 2004, pour les classes de 4e : une évocation des difficultés familiales et psychologiques d’une adolescente qui tombe amoureuse d’une jeune femme.
 Je ne pense qu’à ça, Karim Ressouni-Demigneux, Rue du Monde, 2009. Un court roman idéal pour faire comprendre l’impact des insultes homophobes.
 À mort l’innocent !, d’Arthur Ténor, Oskar jeunesse, 2007._ Pour les petites classes (6e par exemple), un roman sur un enseignant victime de fausses allégations. Ce roman a été sélectionné pour le prix des Incorruptibles, qui propose souvent une sélection courageuse, contrairement à « Collège au cinéma ».

Lionel Labosse


Voir en ligne : Arc-en-Ciel Toulouse


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