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Jeune maman cherche beau mari, pour les 3e et les lycées.
Soleil Rose, de Gudule
Grasset-jeunesse, Lampe de poche, 2004, 222 p, 9,2 €.
mercredi 25 avril 2007
Deuxième volet de la saga autobiographique en cinq volumes de Gudule. Les mésaventures d’une maman de 17 ans précipitée à Beyrouth avec pour tout bagage son bout de chou et son amour de la vie.
Résumé
Ceux qui ont lu La Vie en Rose ont abandonné Rose aux premières contractions, alors qu’elle s’apprêtait à commettre une bêtise. Son père tient ses promesses, sa mère aussi, et tandis que celle-ci se préoccupe de relevailles, celui-là s’est arrangé avec son frère, architecte à Beyrouth, qui accepte de recevoir Rose et son loupiot. Rose se fait à cette nouvelle vie, avec le mauvais caractère et le côté cruche qui la caractérise. On s’amuse des préjugés des uns et des autres, ceux de la tante Zénab sur l’allaitement maternel, ceux de la plupart des Arabes à la fois sur les filles qui couchent avant le mariage (c’est pas bien) et les Françaises, qui acceptent de coucher avant (ouf !), ceux de certains expatriés sur les « métèques », etc. La galerie de portraits est relevée, de la bonne qui s’envoie le chauffeur à la jeunesse dorée parmi laquelle Rose finira par trouver un petit mari qui rendra jaloux certains lecteurs (voire lectrices, soyons pas sectaires !), en passant par la « famille » arménienne chez laquelle Rose logera un temps. On retiendra notamment Têta, la nourrice et grand-mère d’adoption du petit Grégoire, rescapée du génocide, et Habib Garabédian, un « akrout », c’est-à-dire homo. Rose va de petit boulot en petit boulot. Les fidèles lecteurs d’altersexualite.com s’amuseront particulièrement de son éphémère expérience de prof de dessin dans une école sélecte, où, ayant remarqué la curiosité de ses petits élèves pour l’allaitement (ça ne se fait pas dans les familles chrétiennes, car « c’est comme les animaux » (p. 28) et c’est bon pour les musulmanes), Rose dégrafe son corsage pour donner la gougoutte à son Grégoire que les gamins croquent… soulevant un tollé dans les familles ! C’est au hasard d’un de ces boulots qu’elle découvre la pilule, testée par les laboratoires et donc en vente libre au Moyen-Orient avant de l’être en Europe ! (P. 198). Rose va également d’homme en homme, en s’efforçant tant bien que mal, sur les conseils de son oncle, de ne pas tout donner avant le mariage, mais Dieu sait si elle a du mal à se retenir… Ce sont les contingences et son obstination qui lui vaudront le mariage final, une scène émouvante où Têta offre aux mariés à la fois la bague de son feu mari et son « voile » de mariée… La suite est à lire dans La Rose et l’Olivier.
Mon avis
Les adolescents dévoreront ces pages toujours incroyables mais vraies (avec une part de fiction, bien sûr) de la vie pas très catholique de Rose, écrites avec le style inimitable de Gudule, une sorte de « narration indirecte libre » où l’auteure s’efface et délègue la parole au personnage qu’elle fut. « Le frigo déborde de Tupperwares de toutes les couleurs. Rose en ouvre quelques-uns au hasard. Mmm, du kebbé… des falafels… un gros morceau de féta… de la salade de poivrons… » (p. 50). C’est à peine si le critique bégueule qui sommeille en vous a le temps de s’offusquer de ce « frigo » et de ces marques commerciales citées sans vergogne, que l’auteure reprend les rênes, et fait cracher à tante Zénab le « réfrigérateur » attendu (p. 51). Il faut comprendre que quand Rose agit, la narratrice fusionne avec elle. Les marques commerciales citées sont à prendre, comme les nombreuses expressions arabes ou les noms de denrées, comme des signes exotiques permettant de recréer le lieu et le moment de l’histoire. Il en va de même des références aux chanteurs ou cinéastes de l’époque, entre Fellini, les Beatles ou Léo Ferré, dont L’affiche rouge est citée, écho supplémentaire à l’évocation des Arméniens. Dans le même esprit, quand Rose fait la connaissance d’Habib, on savourera le jeu de traduction entre Rose, sa logeuse et la narratrice-auteure : « — Un quoi ? — Un akrout, un homme qui préfère les hommes ! — Un pédé ?! Rose n’a encore jamais rencontré d’homosexuel — cette « race à part » dont, chez elle, on ne parlait qu’à voix basse, et avec une intonation de dégoût moqueur » (p. 70). Où l’on voit que le pédé est au frigo ce que l’homosexuel est au réfrigérateur ! Insistons pour terminer sur un motif mineur mais remarquable dans cet ouvrage, la mention du génocide arménien. Passionné par ce sujet, j’ai effectué des recherches pour en arriver à la conclusion que la question arménienne est un tabou quasi absolu en littérature jeunesse, bien plus que le tabou qui fait l’objet de notre site. Seulement deux ouvrages publiés, dont un seul encore disponible : Loin de chez moi, de David Kherdian, chef-d’œuvre disponible à L’école des loisirs et Génocide, l’Arménie oubliée de Muriel Pernin, chez Syros (épuisé). Si vous en connaissez d’autres, merci de les signaler ! [1] Gudule a donc brisé ce tabou d’une façon fort émouvante, mais elle parle de « guerre contre les Turcs » (p. 76) et non de génocide. Interrogée à ce sujet, elle nous a donné l’éclairage suivant :
– La communauté arménienne, très importante au Liban, ne parlait pas de génocide (le mot n’était pas encore en vigueur, dans les années 60) mais de guerre. C’est donc ce terme que j’ai repris, concernant ma vieille Têta. Et curieusement, hormis la fois où elle m’a mentionné sa situation de famille, je ne l’ai jamais entendue — ni elle, ni aucun Arménien, d’ailleurs — faire la moindre allusion aux massacres. Pudeur, peur, superstition, volonté de faire table rase du passé et de repartir à zéro ? Un peu tout cela, sans doute. Je pense qu’il en est des peuples comme des êtres : les martyrs sont souvent autistes. Ils parlent peu de leurs plaies. La mémoire de l’insoutenable reste enfouie dans leurs limbes intimes, et il faut un travail très long, très éprouvant, pour l’en extirper. Les Juifs des années 50 étaient on ne peut plus discrets, quant à la Shoah. Il a fallu attendre 70, voire 80 pour que se descellent leurs lèvres. Quant aux Rwandais ou aux Bosniaques, peu d’entre eux se sont exprimés, en regard de l’ampleur de l’horreur qu’ils ont vécue… Il est vrai que les mots sont si dérisoires, face à certaines abominations. Ils expriment si mal ce qui est inexprimable. Le silence est plus parlant, moins réducteur en quelque sorte...
– Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».
– Lire l’entrevue de Gudule et ses autres romans : Le Bouc émissaire (L’Instit), Aimer par cœur (L’Instit), L’Envers du décor, Étrangère au paradis, L’Amour en chaussettes, La Vie à reculons, Le Chant des Lunes, Le Bal des ombres, et la série des Rose : La Vie en Rose et La Rose et l’Olivier. Pour les adultes avertis et potaches, voir aussi La Ménopause des Fées. Gudule a également écrit la préface de mon roman Karim & Julien paru en mars 2007.
– La consultation du blog officiel de Gudule permettra aux Sherlock Holmes en herbe de faire la part de l’autobiographie et de la fiction. Grande nouvelle, à partir du 1er janvier 2014, Gudule publie sur son blog la suite inédite de sa trilogie ! À lire en cliquant ici.
Voir en ligne : Site officiel de Gudule
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[1] Miracle en 2007, avec la parution de Les Yeux ouverts, de Didier Torossian.